Des représentants de l’Église évangélique du Salvador, relayés par le président de l’assemblée législative Guillermos Gallegos, ont lancé le 9 octobre une initiative en vue de faire reconnaître leur Église dans la Constitution lors de la prochaine législature qui débutera en 2018.
Soutenu par le parti conservateur Gana, formation à laquelle appartient Guillermo Gallegos, ce projet de modification de la Constitution entend conférer aux Églises évangéliques les mêmes droits que l’Église catholique.
Le Salvador n’est pas le premier pays latino-américain où la montée en puissance des évangéliques – 15 à 20 % de la population dans toute l’Amérique latine, avec des pointes de 25 à 30 % au Brésil et au Guatemala – pèse sur la politique religieuse de l’État. Pour les spécialistes, il s’agit d’une tendance continentale.
« Sur le plan formel, la plupart de ces États sont laïcs mais dans la pratique, cette laïcité n’existe pas car l’Église catholique a toujours négocié ses privilèges, explique le sociologue Jean-Pierre Bastian, professeur de sociologie des religions à l’université de Strasbourg. Aujourd’hui, les évangéliques jouent le même jeu. »
Le précédent chilien
En 2000, les évangéliques pentecôtistes sont ainsi parvenus à faire modifier la Constitution au Chili afin d’avoir les mêmes prérogatives que l’Église catholique : même rang protocolaire que l’archevêque de Santiago, instauration d’un enseignement religieux protestant évangélique dans les écoles, aumôniers de prison, etc… Le cas chilien inspire aujourd’hui les évangéliques dans d’autres pays latino-américains.
Au Brésil, géant démographique du continent où les évangéliques pèsent un quart de la population, les pentecôtistes ont même négocié un « petit concordat », en référence au régime concordataire qui lie l’Église catholique et l’État dans la plupart des pays sud-américains.
Pour mieux peser sur le jeu politique, les pentecôtistes tentent par ailleurs de regrouper leurs forces, sans nécessairement fonder un parti évangélique. Au Brésil, plus de 80 députés évangéliques issus de différentes formations se sont ainsi regroupés au sein d’une « bancada evangelica ». Ses membres se présentent comme pasteurs, prophètes, apôtres, évêques…
En Amérique Latine, un jeu politique de plus en plus confessionnalisé
Le maire de Rio lui-même, Marcelo Crivella, élu l’an dernier sur un programme ultra-conservateur, qui se présente à la fois comme ingénieur, chanteur de gospel et auteur de best-sellers religieux, n’est autre que le gendre du fondateur de l’Église universelle du Royaume de Dieu (EURD), une des firmes évangéliques les plus puissantes au Brésil.
En Colombie également, où l’Église catholique conserve une assise parmi les plus solides de tout le subcontinent, une confédération évangélique tente de se mettre en place afin de désigner un candidat pour l’élection présidentielle de 2018.
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Pour Jean-Pierre Bastian, l’initiative salvadorienne a pour l’instant peu de chance d’aboutir. Mais le spécialiste n’en observe pas moins à l’échelle continentale une véritable « confessionnalisation du jeu politique ». « Contrairement à ce qui se passe en Europe, et notamment en France avec la sécularisation et la privatisation du religieux, l’Amérique latine vit une transition où l’Église catholique doit partager ses prérogatives avec d’autres acteurs religieux. Même si elle n’a rien perdu de son influence, c’est une grande première. »
Samuel Lieven