L’identité du protestantisme évangélique et son développement historique en Alsace

Par Christopher Sinclair, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021

L’implantation du protestantisme évangélique (ou « évangélisme ») en Europe continentale, y compris en Alsace, est parfois présentée comme un phénomène récent et d’origine anglo-saxonne. Cette vision des choses demande à être fortement nuancée. Car si plusieurs Églises évangéliques sont effectivement d’implantation récente, et si l’apport anglo-américain a été réel à certaines époques, le protestantisme évangélique a aussi des racines profondes en Europe continentale, notamment dans les pays rhénans et en Alsace.

En effet, comme nous le verrons plus loin, l’évangélisme est apparu dans ces régions dès la Réforme protestante du 16è siècle, grâce à des initiatives autochtones. Et au cours des siècles suivants, la plupart du temps l’évangélisme n’a pas eu besoin de l’influence anglo-saxonne pour se développer et s’étendre.

Lors de leur apparition au 16è siècle, et encore aujourd’hui, les Églises protestantes évangéliques sont des Églises dites « libres », c’est-à-dire volontairement indépendantes de l’État. Par contre, l’Église catholique, ainsi que les Églises protestantes luthérienne, réformée et anglicane, ont voulu être des Églises dites « établies », en conservant un lien officiel fort avec l’État ; et elles ont vu comme un avantage le fait que tous les habitants d’un pays ou d’une région soient automatiquement considérés comme membres de l’Église.

Au contraire, les Églises évangéliques libres, à l’image de l’Église primitive décrite dans le Nouveau Testament, ont choisi de rester autonomes par rapport à l’État, tout en étant soumises aux lois de leur pays ; elles ne reçoivent pas de subventions, et sont financées par des dons libres et volontaires de leurs membres ; elles refusent l’idée que les habitants d’une région soient considérés comme chrétiens simplement parce qu’ils y sont nés, ou simplement parce qu’ils ont été baptisés peu après leur naissance dans une Église établie.

Certes, le terme d’Églises libres, pour désigner spécifiquement les Églises évangéliques, a perdu de sa pertinence aujourd’hui dans les pays où les autorités ont institué la séparation de l’Église et de l’État, faisant juridiquement de toutes les Églises (même de l’Église catholique et des Églises luthéro-réformées) des Églises libres, sous la forme d’associations cultuelles. C’est le cas dans la quasi-totalité des départements français depuis la « loi de séparation de l’Église et de l’État » de 1905.

Cependant, dans les trois départements d’Alsace-Moselle, le terme d’Églises libres pour désigner les Églises évangéliques est encore pertinent aujourd’hui. En effet, les Églises catholique et luthéro-réformées d’Alsace-Moselle sont encore liées à l’État par le Concordat et les Articles organiques de 1801-02, tandis que les Églises libres de la région sont sous le régime des « associations de droit local à objet cultuel » ; ainsi, ces Églises libres sont séparées de l’État, tout en étant encadrées par le droit public local.

Comme les autres Églises chrétiennes, les Églises évangéliques sont trinitaires, confessant Dieu « Père, Fils et Saint Esprit ». Elles reconnaissent les textes des Conciles des premiers siècles qui ont fixé l’orthodoxie chrétienne. Elles se fondent sur les grands principes de la Réforme protestante du 16è siècle : le salut est possible seulement par la grâce de Dieu (qui culmine dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ) et la foi du croyant ; et la Bible, Parole inspirée de Dieu, est considérée comme norme en matière de vérité doctrinale et de pratique chrétienne.

Les Églises évangéliques pratiquent le baptême des adultes. Cela est lié au fait que ce sont des Églises de professants, dont on devient membre par un choix conscient et volontaire, suite à une conversion personnelle à Jésus-Christ et à l’Évangile, et en confessant publiquement sa foi. Un principe évangélique est que « l’on ne naît pas chrétien, on le devient ». Ce qui explique que de nombreux mouvements ou Églises évangéliques soient apparus lors de « réveils », c’est-à-dire des moments où des chrétiens de tradition ont redécouvert une foi personnelle vivante, qu’ils ont voulu ensuite transmettre autour d’eux.

À l’image de l’Église du Nouveau Testament, les Églises évangéliques attendent de leurs membres un engagement dans la durée. Avec l’aide de l’Esprit Saint, le croyant est appelé à maintenir une relation personnelle vivante avec Dieu, par la prière et la lecture de la Bible ; à mettre ses dons et qualités au service de l’Église, dans l’esprit du sacerdoce universel des croyants ; et à être un témoin de Jésus-Christ, en mettant en pratique l’amour du prochain, en parlant de la bonne nouvelle du salut autour de lui, et en participant aux actions d’évangélisation de l’Église [1].

On dénombre 160 églises locales (ou « assemblées ») évangéliques en Alsace (autour de 100 dans le Bas-Rhin et 60 dans le Haut-Rhin), rassemblant en tout probablement autour de 40 000 personnes. Ces églises locales manifestent une assez grande diversité, notamment concernant leurs structures ecclésiales. On peut faire une première distinction entre d’un côté la vingtaine d’églises locales qui sont totalement indépendantes, et de l’autre les quelque 140 églises locales qui font partie de familles  d’églises (ou « dénominations »).

Au nombre d’une quarantaine en Alsace, ces familles d’églises ont des sensibilités et des modes d’organisation divers. Par exemple, elles sont organisées de façon plus ou moins centralisée. Certaines familles d’églises suivent le modèle congrégationaliste, où chaque église locale conserve une grande indépendance, notamment financièrement ou pour la nomination de ses dirigeants ; même si des actions communes entre les églises locales sont aussi mises en œuvre. D’autres sont de véritables « unions d’églises » se rapprochant du modèle synodal, où des délégués prennent ensemble des décisions s’appliquant à toutes les églises membres, où les finances et la nomination des pasteurs sont gérées de façon centralisée, etc.

Certaines églises indépendantes ou familles d’églises ont des pasteurs à plein-temps et rémunérés, d’autres sont dirigées uniquement par des bénévoles (en général appelés « anciens » et « diacres »). Certaines acceptent des femmes comme pasteurs ou anciens, d’autres non. La plupart sont conduites par des personnes ayant reçu une formation théologique dans un institut biblique ou une faculté de théologie ; mais certaines sont conduites par des personnes autodidactes, dont l’autorité se fonde sur leur charisme personnel et leur expérience de chrétien.

L’évangélisme est aussi composé de nombreux mouvements missionnaires et mouvements d’action caritative, sociale ou éducative, soit liés à des Églises, soit indépendants ou interéglises (« interdénominationnels »). Les Évangéliques appellent ces mouvements des « œuvres » ; en France (Alsace comprise), ce sont la plupart du temps des associations déclarées sous le régime des « associations culturelles ou d’intérêt général ».

La diversité évangélique apparaît encore plus grande quand on constate la présence, dans l’Église catholique et les Églises luthéro-réformées, de nombreuses personnes de sensibilité évangélique, qui croient à un christianisme professant, fondé sur la Bible et tourné vers l’évangélisation du monde, à la manière des chrétiens évangéliques des Églises libres. Par exemple, selon une enquête de terrain, 18% des pasteurs luthéro-réformés d’Alsace-Moselle se déclaraient évangéliques en 1980 [2].

À présent, nous allons voir plus en détail comment l’évangélisme est apparu et s’est développé en Alsace, du 16è siècle à nos jours, à travers l’action de différents réveils, mouvements et Églises [3].

Notes

[1] Sur l’identité évangélique, voir par exemple : Les Églises Évangéliques, Unité des Chrétiens n°55, juillet 1984 ; LARERE Philippe, L’Essor des Églises Évangéliques, Paris, Le Centurion, 1991 ; KUEN Alfred, Qui Sont les Évangéliques ? – Identité, unité et diversité du mouvement, St-Légier (Suisse), Editions Emmaüs, 1998 ; FATH Sébastien, dir., Le Protestantisme Évangélique : un christianisme de conversion, Turnhout, Editions Brepols, 2004 ; Secrétariat Général de la Conférence des Evêques de France, Regards sur le Protestantisme Évangélique en France, Documents Episcopat n°8, 2006 ; MALLEVRE Michel, Les Evangéliques – Un nouveau visage du christianisme ?, Paris – Namur, Editions Jésuites, 2015 ; PETERSCHMITT Samuel & BOUCAUD-VICTOIRE Kévin, La Déferlante – Cette crise qui a révélé les Evangéliques, Mulhouse, Editions Philadelphie – Editions Première Partie, 2020.

[2] WILLAIME Jean-Paul, Les Pasteurs d’Alsace et de Moselle, Bulletin n°3 du Centre de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, Faculté de Théologie Protestante, 1980, p. 32.

[3] Sur les évangéliques en Alsace, voir aussi : SINCLAIR Christopher, « Historique de l’implantation du protestantisme évangélique en Alsace », paru in SINCLAIR Christopher, dir., Actualité des Protestantismes Évangéliques, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002, p.18-25 ; SINCLAIR Christopher, « Le protestantisme alsacien-mosellan : du terroir paroissial à la dispersion conversionniste », paru in BASTIAN Jean-Pierre, dir., La Recomposition des Protestantismes en Europe Latine, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 223-250 ; ainsi que SINCLAIR Christopher, « Les Églises évangéliques, apparues dès 1520 », paru in La Réforme 500 ans après – Le protestantisme en Alsace, Saisons d’Alsace, Hors-Série Hiver 2016-2017, p.82-87.

 

Lire la suite par chapitres ci-dessous.

I. L’Anabaptisme et le Mennonitisme du 16è siècle à nos jours

 

On peut situer les origines du mouvement évangélique en Suisse autour des années 1520, avec l’apparition du mouvement anabaptiste. À Zurich dans ces années-là, un désaccord survient autour du réformateur protestant Ulrich Zwingli sur la manière de faire avancer les idées de la Réforme : certains, avec Zwingli, souhaitent maintenir le baptême des nourrissons hérité de l’Église catholique, et veulent faire appel à l’autorité civile pour la gouvernance de l’Église ; mais d’autres s’y opposent, en invoquant les principes évangéliques du Nouveau Testament : nécessité d’une conversion personnelle à Jésus-Christ pour devenir chrétien, baptême des croyants, séparation de l’Église et de l’État, liberté de conscience.

Conrad GrebelConrad Grebel, un des dirigeants du groupe opposé à Zwingli, pratique le 21 janvier 1525, avec quelques « frères », le baptême d’adultes dans une maison particulière. Cet acte explique qu’on ait appelé les membres de ce groupe (puis leurs disciples) des Anabaptistes, d’un mot grec qui veut dire « rebaptiseurs », puisque ces hommes avaient déjà été baptisés une première fois comme nourrissons dans l’Église catholique. Grebel et ses partisans (Georg Blaurock, Felix Manz, Balthasar Hubmaier….) sont dès lors considérés comme des insoumis et condamnés par les autorités civiles zurichoises : certains sont exécutés par noyade, d’autres reçoivent des peines de prison. Ceux qui parviennent à s’enfuir cherchent asile vers le nord, le long de la vallée du Rhin, là où l’on veut bien les tolérer.

xilés, les Anabaptistes continuent de prêcher leur message. C’est ainsi qu’à partir de 1525, des communautés anabaptistes naissent en Alsace, notamment à Strasbourg, cité tolérante et ville refuge pour de nombreux protestants dissidents. Ces communautés anabaptistes d’Alsace grandissent et se structurent, par l’action de pasteurs et de prédicateurs dynamiques, comme Pilgram Marpeck (réfugié venu d’Autriche) et Michael Sattler (originaire du Pays de Bade) [4]. A l’époque, on compte environ 2500 Anabaptistes à Strasbourg, soit 10% de la population totale de la ville, qui est d’environ 25 000 habitants.

Cependant, soucieux de normalisation ecclésiastique, le Conseil de la ville finit par expulser les Anabaptistes en plusieurs étapes entre 1530 et 1540 [5]. De petits groupes parviennent à se maintenir dans d’autres villes et cantons de la région. À partir de 1670, leur nombre se trouve renforcé par l’arrivée d’une vague d’Anabaptistes suisses venus du canton de Berne, et qui s’installent dans la vallée vosgienne de Sainte-Marie-aux-Mines.

Comme on le voit, l’apparition de l’Anabaptisme en Europe continentale dans les années 1520 a précédé la Réforme protestante anglo–saxonne, qui date des années 1530. L’Anabaptisme a même eu un impact sur le protestantisme britannique, puisque les premières Églises baptistes britanniques ont été créées par des protestants réformés anglais réfugiés en Hollande, et influencés par des Anabaptistes de ce pays. C’est au 17è siècle que les Anabaptistes vont être appelés « Mennonites » (ce qui est toujours leur appellation actuelle), du nom de Menno Simons (1496-1561), un prêtre hollandais devenu anabaptiste et dont le rayonnement s’est étendu à toute l’Europe rhénane.

En 1712, Louis XIV, maître de l’Alsace depuis quelques décennies et qui veut y imposer le catholicisme, exile la plupart des Mennonites d’Alsace-Lorraine vers le pays de Montbéliard et les hautes vallées des Vosges et du Jura. Certains préfèrent alors émigrer en Russie ou en Amérique, à la recherche de contrées plus tolérantes. Après la Révolution française de 1789 et au cours du 19è siècle, le refus des Mennonites de prêter serment aux autorités civiles et de porter les armes leur vaudra souvent de nouvelles tracasseries administratives, d’où de nouvelles vagues d’émigration.

Cet exil explique par exemple la présence des Amish en Amérique du Nord. Vers 1690, Jacob Amman, un des « anciens » de la communauté mennonite de Sainte-Marie-aux-Mines, trouve que les Mennonites s’éloignent des principes bibliques de leurs fondateurs : il exige le retour à une vie plus simple, dans un esprit de non-conformité au monde ambiant. Les disciples d’Amman, que l’on désigne désormais du nom d’« Amish », émigrent en Amérique entre 1750 et 1850 à la recherche de terres et de liberté.

Malgré les persécutions, quelques centaines de Mennonites ont fait le choix de rester en Alsace, avant tout dans des zones rurales jusqu’au début du 20è siècle (Geisberg, Bourg-Bruche, Birkenhof, Schweighof, Ensisheim, Pulversheim…). Mais après la première guerre mondiale, grâce aux progrès de la liberté de conscience, et aussi sous l’effet de l’exode rural, des Mennonites s’établissent à nouveau dans des villes, petites ou grandes : à Strasbourg, Mulhouse-Pfastatt, Colmar-Ingersheim, Neuf-Brisach, Altkirch et Saint-Louis. En 1980, les Mennonites francophones se sont regroupés en une union d’églises légalement enregistrée, l’Association des Églises Évangéliques Mennonites de France, dont le centre de gravité demeure l’est de la France [6].

Les Mennonites de l’est de la France accomplissent un important travail social, notamment à travers le Mont des Oiseaux, une résidence pour personnes handicapées située à Wissembourg ; et à travers la résidence pour personnes âgées dépendantes de La Rosemontoise, à Valdoie près de Belfort [7].

Notes

[4] Sur Pilgram Marpeck, Michael Sattler et l’Anabaptisme alsacien au 16è siècle, voir : BLOUGH Neal, Christologie anabaptiste : Pilgram Marpeck et l’humanité du Christ, Genève, Labor et Fides, 1984 ; ainsi que : BAECHER Claude, Michael Sattler – La naissance d’Eglises de professants au XVIe siècle, Cléon d’Andran, Editions Excelsis, 2002.

[5] LIENHARD Marc, « Les autorités politiques de Strasbourg et les dissidents, 1526-1540 », Communio Viatorum, n°XXV, 1982, p. 207-217.

[6] Sur l’histoire des Mennonites d’Alsace, voir les ouvrages collectifs suivants : Les Anabaptistes Mennonites d’Alsace – Destin d’une minorité, Saisons d’Alsace n°76, Strasbourg, Librairie Istra, 1981 ; BLOUGH Neal, dir., Mennonites d’hier et aujourd’hui, Dossiers de « Christ Seul », n°3/2009, Montbéliard, Editions Mennonites, 2009.

[7] Voir : Entente des Œuvres Mennonites, Travail Social et Spiritualité, Dossiers de « Christ Seul », n°4/2008, Montbéliard, Editions Mennonites, 2008.

II. Le Piétisme (18è et 19è siècles) et ses prolongements actuels

 

Le Piétisme, dont l’un des principaux fondateurs est un Alsacien de Ribeauvillé, Philip Jakob Spener (1635-1705), se développe en Europe continentale aux 18è et 19è siècles. En réaction contre le formalisme des Églises de son époque, le Piétisme prêche un retour à une « religion du cœur », c’est-à-dire une relation confiante, vivante et aimante entre le chrétien et son Dieu, et débouchant sur des œuvres de charité. Il se veut au départ un mouvement de réveil à l’intérieur des Églises luthériennes et réformées, mais ses démêlés avec les autorités ecclésiastiques le conduisent bien souvent à entrer en dissidence et à fonder des mouvements indépendants.

En 1735, les Frères Moraves, un mouvement piétiste indépendant d’Europe centrale, envoient en Alsace deux prédicateurs allemands, Frederick Schmutz et Christian Lembke. Ils y implantent plusieurs communautés (dont la plus importante à Strasbourg) ; celles-ci s’éteindront à la fin de la première guerre mondiale, avec le départ de la population d’origine allemande.

L’Alsace du 18è siècle voit surgir d’autres petites communautés locales de Piétistes, dont la plupart seront fédérées en un mouvement structuré sous le nom de Pilgermission Sankt Chrischona à partir de 1828. En 1900 est fondée la maison de retraite Le Petit Château, située à Beblenheim et encore en activité aujourd’hui. La branche francophone du mouvement a changé plusieurs fois de nom : Union des Églises Évangéliques St Chrischona en 1952, puis Union des Églises Chrétiennes Évangéliques en 1999, puis Vision France en 2010, pour marquer une volonté de s’étendre en France de l’intérieur [8]. Finalement, en 2018 Vision France et sa vingtaine d’églises locales ont fusionné avec une autre dénomination (France-Mission, présente en France de l’intérieur depuis les années 1950) pour former ensemble la famille des Églises Perspectives.

En 1978, certains pasteurs s’étaient séparés des Eglises Chrischona pour créer un nouveau mouvement, l’association missionnaire France pour Christ (FPC), dont le but est encore aujourd’hui d’implanter de nouvelles églises locales dans l’est et le nord de la France. Une fois qu’elles sont viables, ces nouvelles églises rejoignent la famille d’églises Alliance pour Christ (APC) ; aujourd’hui, FPC et APC comptent ensemble six églises locales dans le Bas-Rhin, et une vingtaine d’autres dans d’autres départements de l’est et du nord de la France.

Malgré son caractère souvent dissident, le Piétisme a continué à exercer une influence durable au sein des Églises luthérienne et réformée d’Alsace, par exemple à travers l’œuvre du pasteur pédagogue Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826), ou celle du pasteur François Haerter (1797-1874), fondateur de la Société Évangélique (chargée de raviver et de propager la foi) et de la Maison des Diaconesses de Strasbourg [9]. Cela explique la présence, encore aujourd’hui, de personnes de sensibilité évangélique au sein de ces Églises luthéro-réformées.

Le Piétisme d’Europe continentale s’est développé en grande partie sans l’aide du monde anglo-saxon, et il a même eu des conséquences sur ce dernier : c’est en effet suite à des contacts avec des Frères Moraves lors de ses voyages en Amérique et en Allemagne que le pasteur anglican John Wesley s’est détaché d’une religion du rite et des œuvres, pour se convertir à une « foi du cœur » de type piétiste, et fonder le mouvement méthodiste dans l’Angleterre du 18è siècle.

Notes

[8] Sur les Églises Chrischona, voir MEHL Herrade, « L’Union des Églises Évangéliques Chrischona: une typologie conventiculaire », in Aspects du Protestantisme « Évangélique », Bulletin n°7 du Centre de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, Faculté de Théologie Protestante, 1986, p. 9‑46.

[9] Voir STROHL Henri, Le Protestantisme en Alsace (réédition), Strasbourg, Editions Oberlin, 2000, p.363-378.

III. Les Églises implantées au 19è siècle et leurs prolongements actuels

 

Le 19è siècle voit s’établir en Alsace de nombreuses églises évangéliques, nées de différents réveils de la foi ou initiatives missionnaires ayant leur origine soit en Alsace même, soit dans les pays voisins (Allemagne, Suisse), soit dans les pays anglo-saxons (Royaume-Uni, États-Unis).

 

a) Les Églises libres issues du Réveil de Genève

Le Réveil de Genève est un mouvement de renouveau spirituel de type piétiste qui touche des étudiants en théologie de Genève entre 1810 et 1820, et qui gagne ensuite les Églises de Suisse et de France au cours des décennies suivantes. Ce réveil doit beaucoup à la prédication de certains Frères Moraves et de missionnaires baptistes-calvinistes anglais et écossais (Richard Wilcox, Robert Haldane et Henry Drummond) résidant à l’époque à Genève [10].

Ami Bost est l’un des premiers pasteurs genevois touchés par le Réveil. Employé par une société missionnaire londonienne depuis 1819, il vient prêcher en Alsace autour de 1820. Suite à cela, une Église évangélique libre est fondée à Colmar ; elle rejoindra plus tard le mouvement Chrischona (aujourd’hui Perspectives) [11].

En 1840, Samuel-Henri Froehlich, un évangéliste zurichois lui aussi touché par le Réveil, s’installe à Strasbourg. Entre 1840 et 1857, il fondera en Alsace une dizaine d’assemblées, qui prendront le nom de Communautés Nazaréennes. Deux d’entre elles existent encore aujourd’hui : celle de Bischwiller, qui a rejoint le mouvement Chrischona (aujourd’hui Perspectives) ; et celle de Mulhouse, qui est devenue une église indépendante.

 

b) Les Églises nées du réveil luthérien confessant d’Alsace

En 1846 un réveil se produit dans l’Église luthérienne concordataire, sous l’impulsion du pasteur Frédéric Horning. Opposé au rationalisme et à la théologie libérale, il prêche pour un retour à un Luthéranisme confessant, autrement dit une foi protestante orthodoxe, convaincue et missionnaire. La plupart des Luthériens touchés par ce réveil finissent par se séparer de l’Église concordataire, et ils se regroupent dans sept paroisses dissidentes [12].

Ces paroisses dissidentes prennent le nom d’« Églises luthériennes libres », et en 1927 elles s’unissent en un Synode de l’Église Évangélique Libre en Alsace, qui établit des liens avec le Synode Luthérien du Missouri, une branche conservatrice du Luthéranisme nord-américain. Aujourd’hui, il reste encore cinq de ces églises luthériennes libres : à Strasbourg (l’Église Évangélique Luthérienne de la Croix, place d’Austerlitz), Lembach-Woerth, Schillersdorf, Heiligenstein et Mulhouse.

 

c) Les Églises nées de missions anglo-saxonnes

En 1804 déjà, le pasteur luthérien piétiste Jean-Frédéric Oberlin est le premier pasteur alsacien à profiter du dynamisme du protestantisme évangélique britannique, en faisant appel à la British and Foreign Bible Society de Londres pour faire distribuer des Bibles dans les Vosges et dans la vallée du Rhin.

Dans les années 1830, le pasteur anglican dissident John Nelson Darby fonde au Royaume-Uni les Plymouth Brethren (Frères de Plymouth, appelés aussi Frères Exclusifs ou Frères Etroits). A partir de 1844, Darby parcourt la France et la Suisse romande, où il fonde des communautés dites « Darbystes », officiellement appelées Assemblées de Frères. Le mouvement atteint l’Alsace, et en 1925 on y compte une dizaine d’assemblées. Aujourd’hui, trois de ces assemblées conservent l’appellation de « Darbystes » (à Strasbourg, Seebach et Mittelbergheim) ; les autres se présentent simplement comme des Assemblées de Frères indépendantes (à Strasbourg, Schiltigheim, Stattmatten, Ingwiller, Colmar, Bennwihr et Mulhouse).

Au milieu du 19è siècle, des Suisses et des Alsaciens établis en Amérique du Nord découvrent le Méthodisme (importé d’Angleterre à la fin du 18è siècle), et y adhèrent. Ils créent une branche germanophone du Méthodisme aux États-Unis, l’Evangelische Gemeinschaft, et décident d’implanter des églises dans leurs régions d’origine en Europe. C’est ainsi qu’à partir de 1854, des prédicateurs méthodistes américains de langue allemande (Johann Schnatz, Jakob Kächele, Johann Jakob Escher,…) sont envoyés en Alsace, suivis de prédicateurs suisses et allemands (Jakob Schmidli puis d’autres).

La prédication méthodiste est officiellement agréée dans les dernières années de l’Empire français de Napoléon III : par lettre du 24 décembre 1868, le préfet impérial du Bas-Rhin « autorise M. Schnatz, Ministre de l’Église Évangélique Méthodiste à Strasbourg, à y ouvrir des conférences sur les doctrines de l’Église Évangélique Méthodiste ». Le préfet précise que « cette autorisation, qui est toujours révocable, vous serait immédiatement retirée, si vos conférences venaient à prendre le caractère de propagande dangereuse pour l’ordre public et de nature à troubler le repos des familles… ».

Suite à cet agrément, l’Union de l’Église Évangélique Méthodiste de France a pu être créée dès 1868, et plusieurs assemblées méthodistes ont été fondées au cours des décennies suivantes en Alsace-Moselle : à Strasbourg, Bischwiller, Gundershoffen, Mulhouse, Munster, Colmar, Muntzenheim et Metz. L’action caritative n’est pas oubliée, avec notamment la fondation à Strasbourg en 1889 de la Communauté des Sœurs Diaconesses de Béthesda, encore active aujourd’hui. Enfin, signalons que le Méthodisme alsacien a contribué à l’évangélisation de la France de l’intérieur, en y créant trois nouvelles églises dans la région d’Agen à partir de 1926 [13].

L’Armée du Salut, mouvement d’évangélisation et d’action sociale issue du Méthodisme anglais, arrive en France en 1881 avec l’établissement d’un poste missionnaire et social à Paris (dirigé par Catherine Booth, fille aînée du fondateur du mouvement, le pasteur William Booth). Une assemblée et un centre d’accueil social sont fondés à Strasbourg en 1896, puis peu après à Mulhouse [14].

Aujourd’hui, l’Armée du Salut est encore bien présente dans ces deux villes et leurs alentours, apportant de l’aide à diverses populations vulnérables : aux demandeurs d’asile par des aides d’urgence et des aides à l’insertion ; aux jeunes travailleurs et aux personnes sans domicile fixe, grâce à plusieurs centres de formation et d’hébergement (Le Foyer du Jeune Homme à Strasbourg ; Le Bon Foyer et le Foyer Marie-Pascale Péan à Mulhouse) ; aux jeunes et familles des quartiers sensibles avec le programme Action Quartiers ; aux personnes âgées avec le Foyer Laury Munch (Strasbourg) et avec les deux résidences Heimelig (dans le Sundgau au sud de Mulhouse),…

Au cours de la seconde moitié du 19è siècle également, le Baptisme s’implante en Alsace. Une première assemblée est fondée à Mulhouse en 1856, sous l’impulsion d’un artisan, Jean Vogel, qui a découvert le Baptisme lors d’un séjour en Allemagne. Suite au témoignage d’un jeune soldat et d’un couple allemands, un groupe naît à Strasbourg en 1874, puis il se constitue en église locale en 1893 ; le premier pasteur de cette église, L. Gruber, est un missionnaire allemand salarié du Comité Missionnaire Baptiste Germano-Américain. Au long du 20e siècle, quatre autres assemblées baptistes de cette même tendance sont fondées dans différentes villes d’Alsace : à Sélestat, Colmar, Munster et Saint-Louis. Ces églises s’intégreront ensuite à l’Association des Églises Évangéliques Baptistes de Langue Française, fondée officiellement en 1923.

Une autre tendance du baptisme s’implante en Alsace au milieu du 20è siècle. Il s’agit de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes (FEEB), présente en France de l’intérieur depuis le début du 19è siècle, suite au travail missionnaire d’églises anglo-saxonnes [15]. En 1952, la FEEB établit à Strasbourg un poste pionnier qui deviendra une église à part entière en 1983 ; deux autres églises locales sont fondées dans le Haut-Rhin : à Mulhouse et à Wintzenheim-Logelbach. Enfin, en 2008 des personnes issues de l’église de Strasbourg créent à Lingolsheim une assemblée appelée Église Protestante Baptiste de Strasbourg et Campagne ; en 2016, celle-ci prend le nom d’Eglise Protestante Libre de Strasbourg, au moment de son adhésion à l’Union des Églises Évangéliques Libres, une dénomination présente en France de l’intérieur depuis 1849.

Signalons qu’il existe aussi des églises baptistes indépendantes, notamment celle de Strasbourg-Neudorf, conservatrice et proche de dénominations telles que l’Alliance Baptiste de France et les Églises Évangéliques Baptistes Indépendantes, présentes en France de l’intérieur [16].

Quant aux Adventistes du Septième Jour [17], c’est D.T. Bourdeau, un missionnaire nord-américain en tournée dans l’est de la France, qui baptise les premiers adeptes alsaciens, au Hohwald en 1876. Il est suivi de prédicateurs suisses et allemands, dont les efforts débouchent sur la création de six églises locales entre 1901 et 1920, à Strasbourg, Haguenau-Oberhoffen, Colmar, Munster, Guebwiller et Mulhouse. Les Adventistes sont demeurés longtemps à part, à cause de certaines pratiques spécifiques, comme le fait d’observer le jour du Sabbat. Mais au cours de ces dernières années, ils se sont rapprochés des autres protestants, dont les évangéliques, notamment en adhérant à la Fédération Protestante de France en 2006.

Notes

[10] Voir MAURY Léon, Le Réveil religieux dans l’Église réformée à Genève et en France (1810-1850), 1892, 2 vol., 528p. et 403p. ; MUTZENBERG Gabriel, A l’Ecoute du Réveil – De Calvin à l’Alliance Évangélique, Saint-Légier, Emmaüs, 1989 ; DAUMAS Jean-Marc, « Les origines du Réveil au 19è siècle », La Revue Réformée, n°194, juin 1997, p. 43-62.

[11] Voir STROHL Henri, op. cit ., p. 367-369.

[12] Voir LIENHARD Marc, Frédéric Horning 1809-1882 – Au cœur du réveil luthérien dans l’Alsace du XIXe siècle, Neuwiller-les-Saverne, Editions Luthériennes 2009 ; ainsi que STROHL Henri, op. cit ., p. 389-397.

[13] Voir HUSSER Daniel, « L’Union de l’Église Évangélique Méthodiste », Tychique n°109, 1994, p. 44-48.

[14] Voir DELCOURT Raymond, L’Armée du salut, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1988.

[15] Sur les Baptistes, voir FATH Sébastien, Une autre manière d’être chrétien en France – Socio-histoire de l’implantation baptiste (1810-1950), Genève, Labor et Fides, 2001 (édition abrégée : FATH Sébastien, Le Baptisme en France, 1810-1950, Cléon d’Andran, Editions Excelsis, 2002) ; LHERMENAULT Etienne, dir., Les Églises Baptistes, Paris, Editions Empreinte – Temps Présent, 2009.

[16] Voir STAUFFACHER Jean, Semer au chant du coq – Implanter des Églises baptistes en France, Cléon d’Andran, Editions Excelsis, 2010.

[17] Voir MARTIN Jean-Michel, « Les origines et l’implantation du Mouvement adventiste du septième jour en France : 1876-1925 », Thèse de doctorat de 3è cycle, Paris-Montpellier, Faculté de Théologie Protestante, 1980, p.255-263 ; LEHMANN Richard, Les Adventistes du Septième Jour, Turnhout, Editions Brepols, 1987.

IV. Les Églises et mouvements apparus au 20è siècle

 

a) Les Églises de la Bonne Nouvelle, et quelques autres mouvements

Enfin, depuis 1940 en Alsace s’est développé le mouvement des Églises de la Bonne Nouvelle, fondé par des jeunes d’origine protestante ou catholique gagnés à l’évangélisme par un réveil parmi les étudiants alsaciens réfugiés à Périgueux durant la seconde guerre mondiale [18]. La première assemblée a été fondée à Strasbourg en 1947, puis d’autres ont été implantées à Barr, Lingolsheim-Ostwald, Vendenheim et Holtzheim.

Bien qu’il s’agisse là d’une initiative entièrement alsacienne, la structure ecclésiale adoptée est celle des Open Brethren (les Frères Larges, une branche des Assemblées de Frères britanniques [19]), comme étant le modèle le plus conforme à l’Église du Nouveau Testament. A partir de 1994, les Églises de la Bonne Nouvelle se sont d’ailleurs fédérées aux Communautés et Assemblées Évangéliques de France (CAEF), qui tirent leur origine de la prédication de missionnaires envoyés par les Assemblées de Frères britanniques en France de l’intérieur entre 1830 et 1930, notamment Edmond Squire, George Jones, Cecil Catton et M. Norris.

Les Églises de la Bonne Nouvelle d’Alsace ont elles-mêmes participé à l’évangélisation de la France de l’intérieur, en fondant une assemblée à Lyon (1983) et une à Nantes-Rezé (2000). Enfin, signalons que trois assemblées du Haut-Rhin (Munster, Guebwiller et Wittenheim), jusque-là indépendantes, ont récemment rejoint les CAEF. Les Églises de la Bonne Nouvelle sont actives sur le plan social, par exemple avec le lieu d’accueil pour demandeurs d’asile appelé Kaïros, lié à l’Église de la Bonne Nouvelle de Strasbourg, ou encore l’Association de Soutien des Missions des Assemblées de France, qui coordonne le travail humanitaire des Églises de la Bonne Nouvelle et des CAEF au Tchad, à Madagascar et au Népal.

Quelques autres mouvements d’églises, fruit cette fois de réveils ayant eu lieu hors d’Alsace, se sont implantés dans la région au cours de ces dernières décennies :

  • Le mouvement des Églises du Cèdre, fondé par l’évangéliste sud-africain d’origine allemande Erlo Stegen, suite à un réveil parmi les Zoulous ; à partir des années 1980, sept assemblées ont été fondées en France, dont deux en Alsace (à Haguenau, et au Col du Bonhomme).
  • La Mission Timothée, née d’un réveil dans le Gard dans les années 1960-70, qui a fondé deux assemblées en Alsace (une à  Wolfisheim et une à Thann).
  • Et enfin l’Église du Christ, née du grand réveil nord-américain du début du 19è siècle, et dont l’implantation en Alsace (une assemblée à Strasbourg) est récente, puisqu’elle date du début des années 2000.

 

b) Les Églises pentecôtistes et charismatiques

Bien qu’ils partagent nombre de caractéristiques avec les autres évangéliques (églises libres, autorité de la Bible, accent sur l’évangélisation,…), le Pentecôtisme et le Charismatisme ont la particularité d’avoir redécouvert et développé une spiritualité centrée sur l’action du Saint-Esprit, notamment à travers les miracles, la prophétie et le « parler en langues » (glossolalie), ce qui a profondément transformé le paysage chrétien du 20e siècle.

Si la spiritualité pentecôtiste et charismatique a des antécédents européens (l’Anabaptisme spiritualiste, le Quakerisme, le Prophétisme camisard, le Piétisme) et africains (notamment la spiritualité des esclaves noirs déportés en Amérique), en tant que mouvement organisé le Pentecôtisme contemporain apparaît aux États-Unis autour de 1900, puis se propage rapidement en Europe à partir de la Norvège, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne (cette dernière déjà préparée par un réveil de type pentecôtisant au Pays de Galles entre 1903 et 1908). Le mouvement charismatique, appelé aussi Néo-pentecôtisme, naît lui aussi en Amérique du Nord, au début des années 1960, avant de se répandre en Europe et dans le reste du monde.

Le Pentecôtisme est introduit en Alsace après la première guerre mondiale par des femmes d’origine luthérienne ou méthodiste, notamment Elise Bild et Marguerite Stuber, qui ont rencontré des Pentecôtistes suisses et assisté aux réunions d’évangélisation des prédicateurs pentecôtistes anglais Smith Wigglesworth (Zurich, 1920), Douglas Scott (Bâle, 1932) et Stephen Jeffreys (Bâle, 1934). A partir de 1930 apparaissent quelques assemblées pentecôtistes de langue allemande, puis au cours des années 1960 le paysage pentecôtiste alsacien se diversifie et devient plus francophone, avec la fondation de diverses communautés affiliées à des mouvements nationaux ou internationaux :

  • Les Assemblées de Dieu, expression majoritaire du Pentecôtisme français, nées de la prédication de Douglas Scott (présent en France entre 1927 et 1967), avec cinq assemblées dans le Bas-Rhin : Haguenau, Sarre-Union, Sélestat, Strasbourg, Wasselonne ; et six assemblées dans le Haut-Rhin : Altkirch, Colmar, Mulhouse, Sainte-Marie-aux-Mines, Saint-Louis, Soultz.
  • L’Église de Dieu en France (deux assemblées dans le Haut-Rhin : Colmar et Munster), et l’Union des Églises Protestantes Foursquare France (une assemblée à Lingolsheim), qui ont toutes deux leur siège international aux États-Unis ; ainsi que les Églises Italiennes du Nord de l’Europe, affiliées au Pentecôtisme nord-américain italophone (une assemblée à Saint-Louis).
  • Enfin, la Mission Évangélique des Tziganes de France, fondée en 1957 suite à la conversion de Tziganes de Bretagne, avant de s’étendre à toute la France (deux assemblées à Strasbourg, et une à Mulhouse) [20]. Signalons aussi la présence d’une église pentecôtiste indépendante, l’Église Chrétienne de Pentecôte (située à Ostwald), anciennement affiliée à la Mission de Besançon mais aujourd’hui autonome.

Les Églises pentecôtistes sont engagées dans l’aide aux personnes en situation précaire, par exemple à travers l’Association Chrétienne de Coordination, d’Entraide et de Solidarité (ACCES, liée à l’Assemblée de Dieu de Mulhouse), qui gère plusieurs foyers d’accueil pour personnes sans domicile fixe, chômeurs et jeunes travailleurs ; ou encore l’association Enjeu, liée à l’Assemblée de Dieu de Strasbourg, qui offre divers services sociaux.

L’essor du mouvement charismatique dans le monde après 1960 se traduit en Alsace par une vague d’implantations d’églises à partir des années 80, et qui se prolonge encore aujourd’hui. Ces implantations sont presque toujours des initiatives locales, sous la forme de groupes de maison devenus des églises, et qui ont souvent ensuite fondé d’autres petites églises par « essaimage ». Actuellement, on trouve une bonne vingtaine d’églises charismatiques en Alsace.

La plus importante est la Porte Ouverte Chrétienne (POC) de Mulhouse (créée en 1966), qui compte aujourd’hui plus de 2200 membres, et qui a essaimé à Strasbourg et Colmar, ainsi que dans la France de l’intérieur, notamment à Reims, Draveil et Le Boulou. Les églises de la POC sont membres d’une dénomination nationale, la Fédération des Églises du Plein Évangile en Francophonie, à laquelle appartiennent également quatre autres églises locales de la région (situées à Schiltigheim, Schirmeck, Colmar et Thann).

Quelques églises charismatiques de la région sont rattachées à d’autres dénominations nationales (deux églises de la Fédération des Églises Agapé, à Mulhouse-Illzach et Sarreguemines ; trois églises de la Communion des Églises de l’Espace Francophone, à Strasbourg, Haguenau et Guebwiller), d’autres sont rattachées à une dénomination internationale (comme l’église du mouvement Vineyard – La Vigne située à Mundolsheim), et encore quelques autres sont totalement indépendantes.

Le Charismatisme en Alsace s’exprime également à travers divers ministères de prophétie, de guérison, de louange et d’évangélisation qui ne sont pas (ou pas encore) des églises, et qui pour le moment organisent des rencontres plutôt en semaine, dans des lieux qui peuvent changer (en général des salles louées) : il s’agit notamment de HM-Transformation, de l’association Nah El – Pour une nouvelle Réforme, ou encore de l’association Le Pas (liée au mouvement national France en Feu),…

Rappelons enfin que le Charismatisme a aussi touché les Églises catholique, luthérienne et réformée d’Alsace, sous la forme du Renouveau charismatique à partir des années 1970 [21]. Les prêtres, pasteurs, paroisses et communautés de tendance charismatique de la région (Communauté St Nicolas luthérienne, Communauté du Puits de Jacob catholique,…) se retrouvent dans l’association Renouveau Alsace, qui entretient de bonnes relations avec les Églises évangéliques libres.

 

c) Les Églises évangéliques issues de l’immigration récente

Depuis les années 1980, surtout dans les grandes villes (Strasbourg et Mulhouse), on assiste à l’implantation d’Églises composées de personnes issues de l’immigration récente et extra-européenne. C’est ainsi que l’on trouve trois assemblées cambodgiennes, une chinoise, une tamoule, une arménienne, une arabophone, une iranienne, ainsi que quelques groupes coréens, russophones et maghrébins.

Bien que les premiers Juifs soient arrivés en Alsace il y a plus d’un millénaire, citons ici l’Association du Berger d’Israël, qui réunit des Juifs messianiques (c’est-à-dire des Juifs qui ont découvert en Yeshouah (Jésus) leur Messie et Seigneur, et qui veulent en même temps rester fidèles à la culture juive), et qui édite et diffuse un magazine et des conférences audio à l’adresse de la population juive de la région.

Mais ce sont les Églises d’expression africaine qui ont connu le développement le plus spectaculaire dans la région, puisqu’elles sont passées de deux ou trois petits groupes dans les années 1980 à environ 25 églises aujourd’hui. La plupart de ces églises sont nées d’initiatives individuelles, et certaines sont encore totalement indépendantes ; mais de plus en plus, elles s’affilient à des fédérations nationales (elles-mêmes membres du Conseil National des Évangéliques de France ou de la Fédération Protestante de France) : l’Entente et Coordination des Oeuvres Chrétiennes, membre du CNEF, avec six églises ; la Communauté des Eglises d’Expressions Africaines de France, membre de la FPF, avec trois églises ; ainsi que l’Union des Églises Évangéliques Haïtiennes et Afro-Caribéennes, membre du CNEF, avec une église.

D’autres Églises africaines d’Alsace sont liées à des dénominations internationales nées en Afrique, comme l’Eglise de Pentecôte de France (branche française de la Church of Pentecost, basée au Ghana) : deux églises ; Bethel Prayer Ministry (qui a son siège au Ghana) : deux églises ; l’Eglise de la Montagne de Feu et des Miracles (originaire d’Afrique de l’Ouest) : deux églises ; ou encore la Redeemed Christian Church of God (basée au Nigéria) : deux églises [22].

En 2012 a été fondée l’Union des Églises d’Expression Africaine d’Alsace (UEEAA). Tout en restant membres des unions d’églises citées ci-dessus, les assemblées locales qui adhèrent à l’UEEAA (une quinzaine en 2021) peuvent tisser des liens entre elles et entreprendre des actions communes au niveau local, et aussi devenir plus visibles et mieux représentées auprès de la population et des autorités publiques de la région. L’ambition de l’UEEAA est d’arriver un jour à rassembler toutes les assemblées d’origine africaine présentes en Alsace ; en même temps, elle souhaite s’intégrer au paysage évangélique alsacien, grâce aux liens et aux projets communs qu’elle développe avec le CNEF 67 et le CNEF 68.

Enfin, on peut mentionner deux églises bilingues (anglais-français) qui accueillent surtout des immigrants ou expatriés (étudiants ou professionnels) anglophones, mais également des autochtones francophones ; il s’agit de :

  • Trinity International Church of Strasbourg, fondée en 2005 par l’Alliance des Églises Chrétiennes Missionnaires (Christian and Missionary Alliance, dont le siège international est aux États-Unis).
  • Liberté ! Church Strasbourg, fruit du travail missionnaire de chrétiens pentecôtistes australiens à partir de 2011, et constituée officiellement en église en 2015.

Christopher Sinclair
Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021

Notes

[18] Voir MEHL Herrade & EISSEN Edith, « La Bonne Nouvelle », in Aspects du Protestantisme « Évangélique », Bulletin n°7 du Centre de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, Faculté de Théologie Protestante, 1986, p. 47-67.

[19] Dans ce modèle d’assemblée, la direction est collégiale et assurée par un « conseil des anciens » ; souvent, il n’y pas de pasteur rémunéré ; lorsqu’il y en a un, il est considéré comme un ancien parmi les autres et il doit respecter le fonctionnement collégial.

[20] Voir PFISTER Raymond, Soixante Ans de Pentecôtisme en Alsace (1930-1990), Etudes d’Histoire Interculturelle du Christianisme n°93, Frankfurt am Main – Berlin, Peter Lang Verlag, 1995.

[21] En 1980, 10% des pasteurs luthéro-réformés d’Alsace se disaient charismatiques : WILLAIME Jean Paul, op. cit., p. 32.

[22] Sur ce type d’Églises, voir FOURCHARD Laurent, MARY André, OTAYEK René, dir., Entreprises Religieuses Transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala Editions, 2005.

V. Les œuvres évangéliques aujourd’hui

 

Comme nous l’avons dit au début, les protestants évangéliques ont créé de nombreuses associations missionnaires ou d’action caritative, sociale ou éducative, appelées « œuvres ». Nous avons déjà mentionné des initiatives de ce type liées à certaines églises locales ; nous allons à présent nous intéresser aux œuvres évangéliques qui sont indépendantes ou inter-églises.

Plusieurs associations évangéliques d’aide à la population locale sont nées de la collaboration de chrétiens de différentes églises :

  • À Strasbourg, on peut citer l’Association d’Entraide « Le Relais », qui gère deux foyers d’accueil pour personnes en difficulté ; SOS Femmes Enceintes (Strasbourg et environs), qui aide les futures mères en situation précaire ; ainsi que La Traversée, qui propose aux personnes un soutien psychologique.
  • À Strasbourg et Mulhouse, on peut citer Bouge Ta Ville et Action des Jeunes dans la Cité : des programmes d’été où de jeunes évangéliques font des animations de rue et des actions citoyennes dans les quartiers difficiles.
  • Fruit de la collaboration de chrétiens de toute la région, l’association Compassion en Action s’occupe de visiter les malades ou les personnes en fin de vie, et de soutenir le ministère de deux aumôniers d’hôpitaux.
  • Enfin, citons Le Bercail (Guebwiller), une maison qui accueille une soixantaine d’enfants orphelins ou en rupture de famille.

Sont aussi présents en Alsace des organismes évangéliques humanitaires qui agissent dans des régions défavorisées du monde, comme Grâce et Lumière (aide médico-sociale en Afrique de l’Ouest), Le Pélican (aide aux réfugiés en Afghanistan), Mai Savanh Lao (soutien aux artisans du Laos), Maeva Sev (projets de développement en Afrique), Médecine et Développement Au-delà des Frontières, le Service d’Entraide et de Liaison (branche française de TEAR-Fund), Parrains de l’Espoir (qui envoie des vêtements ou autres fournitures dans les régions pauvres), la Mission Évangélique contre la Lèpre, et enfin la mission Portes Ouvertes, qui soutient les Églises et les chrétiens persécutés dans le monde.

Plusieurs sociétés missionnaires internationales, qui évangélisent et visent à implanter des églises dans différentes régions du monde, ont une présence en Alsace, comme l’Action d’Évangélisation Internationale, la Mission Évangélique parmi les Nations Arabophones, ou encore la Mission Biblique en Côte d’Ivoire et à Haïti. D’autres associations de dimension nationale ou internationale sont présentes en Alsace avec comme objectif l’évangélisation de la population de la région : France-ÉvangélisationAssociation Internationale des Gédéons, Ligue pour la Lecture de la Bible, Opération Mobilisation, Jeunesse en Mission,…

Enfin, certains mouvements utilisent des moyens spécifiques, ou bien sont orientés vers des secteurs d’activités précis ou vers certaines catégories de population ; tout cela à la fois pour faire connaître l’Évangile et pour aider les chrétiens à grandir dans la foi :

  • Radio : Phare-FMRadio IrisRadio Arc-en-Ciel.
  • Livres, magazines, traités, cartes,… : Média-EspéranceLibrairie CLCLibrairies CertitudeLigue pour la Lecture de la Bible, Maison de la Bible,…
  • Monde musical et artistique : MajestartPsalmodiaArt et Parole ; dont chant et musique : Chorale Gospel Joie et Vie, LightclubberzOR MusiqueWhite SpiritMobil’HomeAntydot,…
  • Monde professionnel : Chrétiens Témoins dans le Monde (anciennement Hommes d’Affaires du Plein Evangile), Association de Chrétiens Témoins dans leurs EntreprisesGroupes Bibliques d’EntreprisesUnion Évangélique Médicale et Paramédicale,…
  • Formation théologique et biblique : Cours décentralisés FLTE, Cours Formapré, Cours KaïrosInstitut de Théologie Évangélique AppliquéeInstitut Timothée.
  • Promotion de l’éthique chrétienne : Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine ; Alliance pour la Défense de la Liberté.
  • Hommes : Association Equiper l’Homme de Dieu (Congrès d’Hommes Chrétiens).
  • Femmes : AglowFemmes 2000.
  • Couples et familles : Famille Je T’AimeMission Vie et FamilleJoie et Vie,…
  • Enfants : Association Evangile et EnfanceLes SemaillesLaisse-moi te Raconter,…
  • Jeunes : Soirées PulseJeunesse pour ChristJoie de VivreJoie et VieLe TremplinFlambeaux et Claires FlammesEclaireurs de l’Evangile,…
  • Enseignement scolaire (écoles libres) : Collège Daniel, Ecole Oberlin, Ecole L’Oliveraie.
  • Étudiants et lycéens : Groupes Bibliques LycéensGroupes Bibliques Universitaires, Foyer Évangélique UniversitaireNavigateurs.

VI. Vers plus d’unité : l’AEF, les Ententes locales et le CNEF

 

Pour favoriser l’unité et la collaboration entre les diverses Églises, sensibilités et œuvres évangéliques, en 1846 a été créée l’Alliance évangélique universelle (AEU), qui représente quelque 600 millions de chrétiens évangéliques dans le monde à l’heure actuelle [23]. La branche française, appelée Alliance Évangélique Française (AEF), a joué un rôle important pour promouvoir l’unité et la collaboration entre les évangéliques de notre pays, y compris en Alsace, surtout au cours de la seconde moitié du 20è siècle [24]. L’AEF a notamment mis en place la Semaine Universelle de Prière (chaque année en janvier), elle a aussi permis d’organiser de nombreuses actions d’évangélisation en commun, et elle a favorisé la naissance d’« Ententes » entre églises évangéliques d’une même ville : à Strasbourg, Mulhouse, Colmar, Wissembourg, Haguenau, Sélestat,…

Des événements annuels au niveau régional ont aussi contribué, ou contribuent encore, à une plus grande unité, notamment la Pastorale Évangélique de l’Est (entre 1971 et 2010), la Marche pour Jésus (depuis 2000), le Sommet Mondial du Leadership (depuis 2012), la Rencontre Évangélique de Pentecôte d’Alsace du Nord (depuis 1888 au Geisberg, depuis 2004 à Seebach), le rassemblement de jeunes de Pâques Ze Rencontre (depuis 2004, dans le Haut-Rhin), les festivals musicaux et artistiques Muziktus et Mitt’Him

En 2010, l’AEF a été remplacée par le Conseil national des évangéliques de France (CNEF), qui a des sections locales dans de nombreux départements, dont le Bas-Rhin (le CNEF 67) et le Haut-Rhin (le CNEF 68). Actuellement, autour de 50% des églises locales évangéliques d’Alsace sont membres du CNEF 67 ou du CNEF 68.

Notes

[23] Sur l’Alliance évangélique universelle, voir THOBOIS André, Une conviction qui fait son chemin – L’Alliance évangélique universelle, 1846-1996, Paris, Editions Décision, 1996.

[24] Sur l’évolution des évangéliques de France, voir : BAUBEROT Jean, « Le courant évangélique », in Le Retour des Huguenots, Paris – Genève, Le Cerf – Labor et Fides, 1985, p. 285-299 ; FATH Sébastien, Du Ghetto au Réseau – Le protestantisme évangélique en France, 1800-2005, Genève, Labor et Fides, 2005 ; SINCLAIR Christopher, « Évangéliques de lignée piétiste : entre Bible et réveils », in FATH Sébastien & WILLAIME Jean-Paul, La Nouvelle France Protestante – Essor et recompositions au XXIe siècle, Genève, Labor et Fides, 2011, p. 253-264.

Christopher Sinclair
Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021