Affaire Vincent Lambert : un regard évangélique

Le 5 juin 2019

Sur le cas personnel de Vincent Lambert nous ne voulons ni ne pouvons nous prononcer car nous ne sommes pas à la place de Vincent Lambert ni de ses proches et nous n’avons pas accès aux informations qui ont amené différentes équipes médicales à se prononcer pour l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles. Néanmoins nous nous accordons sur le fait qu’il est légitime que cet arrêt fasse débat d’un point de vue éthique. En effet, Vincent Lambert n’est pas en fin de vie et il n’est pas en état de dire aujourd’hui s’il souffre et s’il désire l’arrêt ou pas des moyens qui le maintiennent en vie. Car du fait de ses lésions cérébrales, il est dans l’incapacité de s’exprimer et de subvenir à ses besoins fondamentaux. Mais nous rappelons que c’est une situation singulière qui ne saurait être généralisée, et complexe à laquelle on ne peut apporter de réponses simples.

Sur les protagonistes de l’affaire Vincent Lambert, nous voulons affirmer qu’il n’y a ni bons ni méchants mais des personnes qui toutes souffrent de cette situation, tout en en tirant des conclusions opposées, et qui ont rompu tout dialogue. Nous ne pouvons qu’exprimer aux uns et aux autres notre compassion et notre prière pour que le dialogue dans cette famille reprenne. Mais nous reconnaissons que la judiciarisation, la médiatisation et les positions militantes anti ou pro-euthanasie y font obstacle.

Sur les effets de l’instrumentalisation de l’affaire et les confusions qui l’entourent, nous nous sentons en revanche appelés à émettre des mises en garde, à relever les points qui font débat y compris entre nous, et à affirmer ensemble la dignité de tout être humain quelle que soit sa situation.

Nous craignons que l’effroi devant l’état de Vincent Lambert n’aboutisse aux rejets des personnes en situation de grand handicap. Déjà certains se demandent pourquoi ne pas arrêter la nutrition artificielle de toutes les personnes dans cet état, confirmant les angoisses des familles des personnes cérébrolésées bénéficiant d’une nutrition artificielle, qui craignent qu’il leur soit imposé des décisions d’arrêts.

Nous récusons le vocable d’euthanasie que certains emploient pour ce qui est ici un arrêt et une limitation de traitements exceptionnels, prévus et encadrés par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016. Mais nous reconnaissons que cette loi, contrairement à celle de 2005, est une loi frontière dont l’équilibre pour ne pas basculer dans une euthanasie masquée dépend de l’intention des soignants et des modalités de mise en œuvre.

Il a beaucoup été dit que, si Vincent Lambert avait laissé des directives anticipées écrites, la décision des soignants serait simple et la famille serait obligée de s’y ranger sans contestation possible. C’est juste mais nous mettons en garde contre l’illusion que ces directives anticipées pourraient tout régler. En effet, toutes les situations médicales ne peuvent être anticipées car souvent méconnues par les futurs patients. Par ailleurs la représentation du handicap n’est pas la même lorsque nous sommes valides que lorsque nous sommes ou devenons handicapés. Enfin ces directives anticipées ont un sens dans les maladies où le patient a le temps de réfléchir. Certaines prises en charge peuvent en effet durer des années. Mais dans le cadre, comme ici d’un accident, il semble illusoire que la population entière fasse des directives anticipées. Rien ne peut et ne doit remplacer, dans la mesure du possible, le dialogue en situation avec le médecin, le patient et la famille. Nous regrettons la situation exceptionnelle de blocage de ce dialogue au sujet de la situation de Vincent Lambert.

Nous craignons que cette affaire n’altère encore davantage la confiance en la bienveillance des soignants et ne pousse à un rapport de plus en plus contractuel entre patients et soignants, fondé sur un « droit à » plutôt que sur un dialogue fondé sur une alliance thérapeutique soignants-patient dans un combat commun contre la maladie et la souffrance.

Nous regrettons que les partisans d’une légalisation de l’euthanasie instrumentalisent le cas singulier de Vincent Lambert pour promouvoir une loi instaurant un droit à mourir alors qu’une loi n’aurait d’ailleurs rien réglé, dans la mesure où Vincent Lambert n’a laissé aucune consigne écrite et n’est pas en mesure de s’exprimer. Nous sommes en revanche favorables au maintien du cadre légal Claeys-Leonetti de 2016 qui permet, dans la plupart des cas, de solutionner des situations du type de celle de Vincent Lambert. Nous soulignons que, dans la grande majorité de ces cas, en prenant le temps du dialogue, familles et médecin parviennent à un consensus.

Ce qui fait débat entre nous, c’est l’appréciation éthique de l’hydratation et de la nutrition artificielles.

Pour les uns, la nutrition artificielle est un traitement exceptionnel de maintien en vie qui peut être arrêté suivant l’appréciation de l’utilité médicale de ce traitement. Pour les autres, elle est un soin de base qui est dû à tous, quel que soit son état.

Ce que nous convenons ensemble, c’est qu’une personne, qu’elle soit gravement handicapée, en fin de vie, etc., garde sa dignité humaine, a toujours droit à ce qu’on prenne soin d’elle, et que le recours à des moyens extraordinaires de maintien en vie doit être évalué à l’aune du danger de créer un « fardeau de vie » pour la personne et les proches.

En conclusion, nous affirmons ensemble que la dignité d’une personne ne doit pas être évaluée à l’aune de ses capacités : nous croyons que tout être humain est digne de respect, quelle que soit sa situation parce qu’il est créé à l’image de Dieu. Les droits humains dont se réclame notre pays affirment aussi cette dignité intrinsèque. Ce respect de la dignité humaine doit primer sur la demande des individus à réaliser toutes leur volontés, il doit primer également sur la tendance de la société à tout mesurer à l’aune de la rentabilité, ceci afin qu’un juste respect de la liberté des personnes soit toujours uni à une égalité de traitement et à la fraternité envers tous. Le respect des plus vulnérables est indispensable à une vie fraternelle du corps social. Pour le dire avec l’apôtre Paul, les membres les plus faibles de ce corps ne sont pas des vies « inutiles » mais au contraire  « nécessaires » (1 Corinthiens 12.22) à notre fraternité.

Signataires :
Marjorie Legendre, pasteur UEEL à Paris-Alésia, membre de la commission d’éthique évangélique ;  Luc Olekhnovitch, pasteur UEEL à Viry-Châtillon, éthicien évangélique ;  Dr Mathieu Puyade, médecine interne,  CHU Poitiers ;  Louis Schweitzer, pasteur FEEB, professeur d’éthique à la Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine ; Dr Licia Touzet, médecine palliative et Master d’éthique, service de soins palliatifs, CHU Lille.

Source : Réforme

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