IV. Les Églises et mouvements apparus au 20è siècle

 

a) Les Églises de la Bonne Nouvelle, et quelques autres mouvements

Enfin, depuis 1940 en Alsace s’est développé le mouvement des Églises de la Bonne Nouvelle, fondé par des jeunes d’origine protestante ou catholique gagnés à l’évangélisme par un réveil parmi les étudiants alsaciens réfugiés à Périgueux durant la seconde guerre mondiale [18]. La première assemblée a été fondée à Strasbourg en 1947, puis d’autres ont été implantées à Barr, Lingolsheim-Ostwald, Vendenheim et Holtzheim.

Bien qu’il s’agisse là d’une initiative entièrement alsacienne, la structure ecclésiale adoptée est celle des Open Brethren (les Frères Larges, une branche des Assemblées de Frères britanniques [19]), comme étant le modèle le plus conforme à l’Église du Nouveau Testament. A partir de 1994, les Églises de la Bonne Nouvelle se sont d’ailleurs fédérées aux Communautés et Assemblées Évangéliques de France (CAEF), qui tirent leur origine de la prédication de missionnaires envoyés par les Assemblées de Frères britanniques en France de l’intérieur entre 1830 et 1930, notamment Edmond Squire, George Jones, Cecil Catton et M. Norris.

Les Églises de la Bonne Nouvelle d’Alsace ont elles-mêmes participé à l’évangélisation de la France de l’intérieur, en fondant une assemblée à Lyon (1983) et une à Nantes-Rezé (2000). Enfin, signalons que trois assemblées du Haut-Rhin (Munster, Guebwiller et Wittenheim), jusque-là indépendantes, ont récemment rejoint les CAEF. Les Églises de la Bonne Nouvelle sont actives sur le plan social, par exemple avec le lieu d’accueil pour demandeurs d’asile appelé Kaïros, lié à l’Église de la Bonne Nouvelle de Strasbourg, ou encore l’Association de Soutien des Missions des Assemblées de France, qui coordonne le travail humanitaire des Églises de la Bonne Nouvelle et des CAEF au Tchad, à Madagascar et au Népal.

Quelques autres mouvements d’églises, fruit cette fois de réveils ayant eu lieu hors d’Alsace, se sont implantés dans la région au cours de ces dernières décennies :

  • Le mouvement des Églises du Cèdre, fondé par l’évangéliste sud-africain d’origine allemande Erlo Stegen, suite à un réveil parmi les Zoulous ; à partir des années 1980, sept assemblées ont été fondées en France, dont deux en Alsace (à Haguenau, et au Col du Bonhomme).
  • La Mission Timothée, née d’un réveil dans le Gard dans les années 1960-70, qui a fondé deux assemblées en Alsace (une à  Wolfisheim et une à Thann).
  • Et enfin l’Église du Christ, née du grand réveil nord-américain du début du 19e siècle, et dont l’implantation en Alsace (une assemblée à Strasbourg) est récente, puisqu’elle date du début des années 2000.

 

b) Les Églises pentecôtistes et charismatiques

Bien qu’ils partagent nombre de caractéristiques avec les autres évangéliques (églises libres, autorité de la Bible, accent sur l’évangélisation,…), le Pentecôtisme et le Charismatisme ont la particularité d’avoir redécouvert et développé une spiritualité centrée sur l’action du Saint-Esprit, notamment à travers les miracles, la prophétie et le « parler en langues » (glossolalie), ce qui a profondément transformé le paysage chrétien du 20e siècle.

Si la spiritualité pentecôtiste et charismatique a des antécédents européens (l’Anabaptisme spiritualiste, le Quakerisme, le Prophétisme camisard, le Piétisme) et africains (notamment la spiritualité des esclaves noirs déportés en Amérique), en tant que mouvement organisé le Pentecôtisme contemporain apparaît aux États-Unis autour de 1900, puis se propage rapidement en Europe à partir de la Norvège, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne (cette dernière déjà préparée par un réveil de type pentecôtisant au Pays de Galles entre 1903 et 1908). Le mouvement charismatique, appelé aussi Néo-pentecôtisme, naît lui aussi en Amérique du Nord, au début des années 1960, avant de se répandre en Europe et dans le reste du monde.

Le Pentecôtisme est introduit en Alsace après la première guerre mondiale par des femmes d’origine luthérienne ou méthodiste, notamment Elise Bild et Marguerite Stuber, qui ont rencontré des Pentecôtistes suisses et assisté aux réunions d’évangélisation des prédicateurs pentecôtistes anglais Smith Wigglesworth (Zurich, 1920), Douglas Scott (Bâle, 1932) et Stephen Jeffreys (Bâle, 1934). A partir de 1930 apparaissent quelques assemblées pentecôtistes de langue allemande, puis au cours des années 1960 le paysage pentecôtiste alsacien se diversifie et devient plus francophone, avec la fondation de diverses communautés affiliées à des mouvements nationaux ou internationaux :

  • Les Assemblées de Dieu, expression majoritaire du Pentecôtisme français, nées de la prédication de Douglas Scott (présent en France entre 1927 et 1967), avec cinq assemblées dans le Bas-Rhin : Haguenau, Sarre-Union, Sélestat, Strasbourg, Wasselonne ; et six assemblées dans le Haut-Rhin : Altkirch, Colmar, Mulhouse, Sainte-Marie-aux-Mines, Saint-Louis, Soultz.
  • L’Église de Dieu en France (deux assemblées dans le Haut-Rhin : Colmar et Munster), et l’Union des Églises Protestantes Foursquare France (une assemblée à Lingolsheim), qui ont toutes deux leur siège international aux États-Unis ; ainsi que les Églises Italiennes du Nord de l’Europe, affiliées au Pentecôtisme nord-américain italophone (une assemblée à Saint-Louis).
  • Enfin, la Mission Évangélique des Tziganes de France, fondée en 1957 suite à la conversion de Tziganes de Bretagne, avant de s’étendre à toute la France (deux assemblées à Strasbourg, et une à Mulhouse) [20]. Signalons aussi la présence d’une église pentecôtiste indépendante, l’Église Chrétienne de Pentecôte (située à Ostwald), anciennement affiliée à la Mission de Besançon mais aujourd’hui autonome.

Les Églises pentecôtistes sont engagées dans l’aide aux personnes en situation précaire, par exemple à travers l’Association Chrétienne de Coordination, d’Entraide et de Solidarité (ACCES, liée à l’Assemblée de Dieu de Mulhouse), qui gère plusieurs foyers d’accueil pour personnes sans domicile fixe, chômeurs et jeunes travailleurs ; ou encore l’association Enjeu, liée à l’Assemblée de Dieu de Strasbourg, qui offre divers services sociaux.

L’essor du mouvement charismatique dans le monde après 1960 se traduit en Alsace par une vague d’implantations d’églises à partir des années 80, et qui se prolonge encore aujourd’hui. Ces implantations sont presque toujours des initiatives locales, sous la forme de groupes de maison devenus des églises, et qui ont souvent ensuite fondé d’autres petites églises par « essaimage ». Actuellement, on trouve une bonne vingtaine d’églises charismatiques en Alsace.

La plus importante est la Porte Ouverte Chrétienne (POC) de Mulhouse (créée en 1966), qui compte aujourd’hui plus de 2200 membres, et qui a essaimé à Strasbourg et Colmar, ainsi que dans la France de l’intérieur, notamment à Reims, Draveil et Le Boulou. Les églises de la POC sont membres d’une dénomination nationale, la Fédération des Églises du Plein Évangile en Francophonie, à laquelle appartiennent également quatre autres églises locales de la région (situées à Schiltigheim, Schirmeck, Colmar et Thann).

Quelques églises charismatiques de la région sont rattachées à d’autres dénominations nationales (deux églises de la Fédération des Églises Agapé, à Mulhouse-Illzach et Sarreguemines ; trois églises de la Communion des Églises de l’Espace Francophone, à Strasbourg, Haguenau et Guebwiller), d’autres sont rattachées à une dénomination internationale (comme l’église du mouvement Vineyard – La Vigne située à Mundolsheim), et encore quelques autres sont totalement indépendantes.

Le Charismatisme en Alsace s’exprime également à travers divers ministères de prophétie, de guérison, de louange et d’évangélisation qui ne sont pas (ou pas encore) des églises, et qui pour le moment organisent des rencontres plutôt en semaine, dans des lieux qui peuvent changer (en général des salles louées) : il s’agit notamment de HM-Transformation, de l’association Nah El – Pour une nouvelle Réforme, ou encore de l’association Le Pas (liée au mouvement national France en Feu),…

Rappelons enfin que le Charismatisme a aussi touché les Églises catholique, luthérienne et réformée d’Alsace, sous la forme du Renouveau charismatique à partir des années 1970 [21]. Les prêtres, pasteurs, paroisses et communautés de tendance charismatique de la région (Communauté St Nicolas luthérienne, Communauté du Puits de Jacob catholique,…) se retrouvent dans l’association Renouveau Alsace, qui entretient de bonnes relations avec les Églises évangéliques libres.

 

c) Les Églises évangéliques issues de l’immigration récente

Depuis les années 1980, surtout dans les grandes villes (Strasbourg et Mulhouse), on assiste à l’implantation d’Églises composées de personnes issues de l’immigration récente et extra-européenne. C’est ainsi que l’on trouve trois assemblées cambodgiennes, une chinoise, une tamoule, une arménienne, une arabophone, une iranienne, ainsi que quelques groupes coréens, russophones et maghrébins.

Bien que les premiers Juifs soient arrivés en Alsace il y a plus d’un millénaire, citons ici l’Association du Berger d’Israël, qui réunit des Juifs messianiques (c’est-à-dire des Juifs qui ont découvert en Yeshouah (Jésus) leur Messie et Seigneur, et qui veulent en même temps rester fidèles à la culture juive), et qui édite et diffuse un magazine et des conférences audio à l’adresse de la population juive de la région.

Mais ce sont les Églises d’expression africaine qui ont connu le développement le plus spectaculaire dans la région, puisqu’elles sont passées de deux ou trois petits groupes dans les années 1980 à environ 25 églises aujourd’hui. La plupart de ces églises sont nées d’initiatives individuelles, et certaines sont encore totalement indépendantes ; mais de plus en plus, elles s’affilient à des fédérations nationales (elles-mêmes membres du Conseil National des Évangéliques de France ou de la Fédération Protestante de France) : l’Entente et Coordination des Oeuvres Chrétiennes, membre du CNEF, avec six églises ; la Communauté des Eglises d’Expressions Africaines de France, membre de la FPF, avec trois églises ; ainsi que l’Union des Églises Évangéliques Haïtiennes et Afro-Caribéennes, membre du CNEF, avec une église.

D’autres Églises africaines d’Alsace sont liées à des dénominations internationales nées en Afrique, comme l’Eglise de Pentecôte de France (branche française de la Church of Pentecost, basée au Ghana) : deux églises ; Bethel Prayer Ministry (qui a son siège au Ghana) : deux églises ; l’Eglise de la Montagne de Feu et des Miracles (originaire d’Afrique de l’Ouest) : deux églises ; ou encore la Redeemed Christian Church of God (basée au Nigéria) : deux églises [22].

En 2012 a été fondée l’Union des Églises d’Expression Africaine d’Alsace (UEEAA). Tout en restant membres des unions d’églises citées ci-dessus, les assemblées locales qui adhèrent à l’UEEAA (une quinzaine en 2021) peuvent tisser des liens entre elles et entreprendre des actions communes au niveau local, et aussi devenir plus visibles et mieux représentées auprès de la population et des autorités publiques de la région. L’ambition de l’UEEAA est d’arriver un jour à rassembler toutes les assemblées d’origine africaine présentes en Alsace ; en même temps, elle souhaite s’intégrer au paysage évangélique alsacien, grâce aux liens et aux projets communs qu’elle développe avec le CNEF 67 et le CNEF 68.

Enfin, on peut mentionner deux églises bilingues (anglais-français) qui accueillent surtout des immigrants ou expatriés (étudiants ou professionnels) anglophones, mais également des autochtones francophones ; il s’agit de :

  • Trinity International Church of Strasbourg, fondée en 2005 par l’Alliance des Églises Chrétiennes Missionnaires (Christian and Missionary Alliance, dont le siège international est aux États-Unis).
  • Liberté ! Church Strasbourg, fruit du travail missionnaire de chrétiens pentecôtistes australiens à partir de 2011, et constituée officiellement en église en 2015.

Christopher Sinclair
Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021

Notes

[18] Voir MEHL Herrade & EISSEN Edith, « La Bonne Nouvelle », in Aspects du Protestantisme « Évangélique », Bulletin n°7 du Centre de Sociologie du Protestantisme, Strasbourg, Faculté de Théologie Protestante, 1986, p. 47-67.

[19] Dans ce modèle d’assemblée, la direction est collégiale et assurée par un « conseil des anciens » ; souvent, il n’y pas de pasteur rémunéré ; lorsqu’il y en a un, il est considéré comme un ancien parmi les autres et il doit respecter le fonctionnement collégial.

[20] Voir PFISTER Raymond, Soixante Ans de Pentecôtisme en Alsace (1930-1990), Etudes d’Histoire Interculturelle du Christianisme n°93, Frankfurt am Main – Berlin, Peter Lang Verlag, 1995.

[21] En 1980, 10% des pasteurs luthéro-réformés d’Alsace se disaient charismatiques : WILLAIME Jean Paul, op. cit., p. 32.

[22] Sur ce type d’Églises, voir FOURCHARD Laurent, MARY André, OTAYEK René, dir., Entreprises Religieuses Transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala Editions, 2005.