Harcèlement antisémite : l’étudiante de Bobigny « lâche l’affaire »

Le 12 septembre 2019

« Pratiquer la justice fait la grandeur d’une nation, l’injustice fait la honte des peuples. »
Proverbes 14:34 BFC (1)

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Quand Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a dénoncé dans un communiqué « des faits profondément inacceptables », rappelant que « les mots pouvaient aussi tuer », ce fut pour elle un immense soulagement. « J’ai cru à ce moment que c’était gagné : j’avais été entendue, on me prenait au sérieux, j’avais eu raison de dénoncer de tels agissements, des propos aussi abjects. »

C’était le 20 octobre 2018. Inscrite en 2e année à la (Seine-Saint-Denis), Rose*, 20 ans, étudiante de confession juive, avait osé briser l’omerta. « Traumatisée » par les blagues de plus en plus douteuses et stigmatisantes d’un certain nombre de camarades de sa promotion, elle avait porté plainte pour « harcèlement moral à caractère antisémite ».

« On ne va pas se laisser traiter comme du bétail »

Il y eut d’abord cette photo floutée d’un étudiant juif, postée sur Facebook et ainsi légendée : « Ça gaze ; Torah pas ton année ; il est moins concentré qu’en camp de concentration ; il chauffe son bain à 39-45 degrés. » Puis il y eut les saluts nazis d’une des organisatrices du week-end d’intégration des P2 (deuxième année). Et ces discussions permanentes sur Messenger, où il était question des « reptiliens juifs », de « feujs qui craignent le feu », des « juifs » pour lesquels « rien n’est gratuit ». « C’est allé en crescendo, se souvient Rose. Ça revenait tout le temps, on était mis à toutes les sauces ! »

Un jour, elle explique sur un forum où une cagnotte est lancée pour un anniversaire, qu’elle ne pourra y participer, étant « un peu juste financièrement ». La réponse fuse : « La juiverie n’est jamais finie. » « Il brûle wesh ce sale juif », lit-elle un autre jour. « Et puis, ils se sont mis à faire un classement des Juifs de l’amphi. Moi, j’avais atteint le niveau 75, on me présentait comme prête à tout pour défendre ma communauté. Un camarade, “impliqué, mais prêt à traîner avec des goys (non juifs) », s’était vu attribuer le niveau 31.

En bas du tableau, un étudiant était décrit comme « Juif de niveau 2, prêt à trahir son camp ». Je me suis dit : cette fois, ça suffit ! On ne va tout de même pas se laisser classer comme du bétail, comme en 1940 ! »

« Le cancer de la promo »

Rose saisit la présidence de l’université, médiatise son action et porte plainte. « La doyenne a été juste formidable, évoque-t-elle. Elle a pris les choses au sérieux et saisi la commission de discipline. Je pleurais tous les jours dans son bureau, elle m’a vraiment soutenue. » En cours, c’est autre chose… Rose passe pour celle qui « plombe l’ambiance ».

On la dissuade de participer au week-end d’intégration, au risque de se faire « trasher ».

Par une camarade, elle apprend qu’on l’a surnommée « le cancer de la promo ». Elle raconte : « J’allais à la fac avec la boule au ventre. Ma mère m’accompagnait jusque dans l’amphi et je n’osais même plus aller seule aux toilettes. Au resto U, je déjeunais seule. J’étais la traîtresse, on m’avait complètement ostracisée. À 21 ans, j’étais devenue un cadavre social. »

Un copain accepte de témoigner en sa faveur. Les autres préfèrent se taire, craignant les représailles. Elle dit : « C’était devenu difficile d’être mon ami. » Devant la salle R 47, une pétition est lancée : « Non, nous n’avons pas été témoins de faits ou propos antisémites. » On lui rapporte que lors du fameux week-end d’intégration, dont le thème était les dieux de l’Olympe, un étudiant déguisé en dieu de l’avarice est arrivé, hilare, avec une kippa sur la tête.

Une amie juive l’alerte : « Ton nom circule sur les forums. » « Ils ne se sont pas excusés, ils ont continué au contraire à me pourrir la vie », relate-t-elle. Sur son compte WhatsApp, la même amie finit par se confier : « Je n’ai pas envie de me mettre la promo à dos, je ne supporterai pas d’être rejetée. S’ils apprennent que j’ai fait les collages (captures d’écran), je me tire une balle. » Elle dit encore : « J’ai réalisé que j’étais le petit coq que l’on envoyait au combat parce que j’étais vaillante. En réalité, j’étais juste à bout, épuisée et dépressive. »

« Ce n’était pas à moi de partir… »

Un mois après son dépôt de plainte, la doyenne la convainc de changer d’établissement. « Elle m’a expliqué que la vie d’étudiante, ce n’était pas ça. J’en pouvais plus, ce n’était plus vivable, alors j’ai accepté de partir. Le cœur gros, car cette fac, je l’avais choisie. Dans les hôpitaux qui lui sont rattachés, on soigne des étrangers, des gens de toutes conditions, ce qui correspondait à mon idéal de la médecine… Ce n’était pas à moi de partir. »

Aujourd’hui, Rose poursuit son cursus à Paris-Descartes, dans le quartier huppé de l’Odéon. « J’y suis heureuse, je m’y sens bien, j’y ai des amis et je n’ai pas le sentiment d’être montrée du doigt même si tout le monde, ici, connaît mon histoire. »

Et pourtant… Le « combat » qu’elle a mené « contre la bêtise », « la méchanceté » et « la haine de l’autre » lui laisse « un goût amer ». Elle qui croyait que la justice allait « prendre le relais » se dit « déçue », « découragée » et « pour tout dire extrêmement peinée » par la tournure des événements. Alors voilà : après un an de procédure, Rose a décidé de « lâcher l’affaire ».

De guerre lasse, « fatiguée de voir [sa] parole sans cesse mise en doute » alors qu’elle a « fourni toutes les preuves », « des dizaines de captures d’écrans » saturées de propos injurieux. « Je ne me sens plus de répondre encore à des questions, j’en ai ras le bol, je suis épuisée », soupire-t-elle.

« J’ai tout de suite senti qu’ils n’avaient pas envie”

Elle se souvient : « C’était la première fois que je déposais plainte et j’ai tout de suite eu un mauvais pressentiment. Dès la première minute, j’ai senti qu’on n’allait pas me prendre au sérieux, que les choses allaient être longues et fastidieuses, que j’allais être déçue. Qu’on n’avait pas envie, en fait… »

Il y eut d’abord cette première audition, un mois après son dépôt de plainte, au commissariat de Bobigny. « À peine arrivées avec ma mère, la policière qui nous a accueillies m’a dit d’emblée que j’avais de la chance d’être convoquée si vite, que j’aurais attendu beaucoup plus longtemps si mon affaire n’avait pas été médiatisée. » Au seul témoin qui a accepté de parler, l’un des enquêteurs aurait dit : « Tu es sûr qu’il n’y a pas une histoire de cul (sic) derrière tout ça ? »

« On s’est vite rendu compte que la police n’avait pas envie d’enquêter là-dessus, qu’elle le faisait parce que le parquet s’y sentait lui-même contraint », intervient Me Antonin Péchard, l’avocat de Rose. « Et ce que nous redoutions est arrivé : en janvier 2019, le parquet de Bobigny nous a informés de sa décision de classer l’affaire sans suite, faute de preuves suffisantes. »

Un étudiant exclu

Entre-temps, la procédure disciplinaire lancée par l’université contre huit étudiants avait été reportée ; l’audience s’est finalement tenue en mars. « Et là, ce fut l’horreur, rapporte Rose. On avait envoyé toutes les pièces à la commission, mais, dans le dossier, il n’y avait que trois copies de mails qui se battaient en duel. J’ai dû enchaîner huit interrogatoires successifs, mon avocat ne pouvait pas intervenir alors que ceux des mis en cause me bombardaient de questions. » Me Péchard : « C’était elle, la coupable, la fauteuse de troubles, l’empêcheuse de tourner en rond. Mes confrères, et c’est de bonne guerre, ont plaidé l’absence de poursuites judiciaires. » Sur les huit étudiants poursuivis pour « troubles au bon fonctionnement de l’université », un seul sera sanctionné : la peine d’un an d’exclusion, dont dix avec sursis, est prononcée.

« J’étais venue avec un gros gâteau empoisonné et on s’en est pris à la cerise qui était au-dessus. J’ai trouvé ça dérisoire et ahurissant », commente Rose.

Son avocat l’encourage à poursuivre. Face à l’inertie du parquet, il dépose plainte et se constitue partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de Bobigny. « Au moins, comme ça, on pourra avoir accès au dossier d’enquête », plaide-t-il. Il consigne la somme de 300 euros le 14 mars. Et puis, plus de nouvelles. Une relance, puis deux… Le 3 septembre, un mail tombe enfin sur la boîte du cabinet : en guise de premier acte, le magistrat ordonne une expertise psychologique.

« Pas pour les auteurs, non, pour moi ! » s’étrangle Rose, qui avait déjà vu un psychiatre de l’unité médico-légale après son audition au commissariat – elle n’a eu aucun retour de cet examen. D’un rire nerveux, elle lit à voix haute l’ordonnance du juge : « Ordonnons de procéder à l’examen psychologique de la victime. Il conviendra notamment de déterminer si elle souffre d’anomalie mentale et psychiatrique ; si elle a un degré d’intelligence normale ; si elle est particulièrement influençable ou impressionnable ; d’apprécier le ressentiment que les faits ont pu avoir sur son psychisme, sa personnalité et sa vie sexuelle et de présenter toutes les observations utiles. » Elle relève la tête et relit la dernière phrase en détachant chaque syllabe : « Vous avez bien entendu : un-im-pact-sur-ma-vie-se-xu-elle  ! Rien à voir  ! »

« J’ai compris qu’on n’en sortirait pas »

Elle dit : « En lisant ça, j’ai failli tomber de ma chaise. Avant même d’entendre ce que j’avais à dire et de considérer les preuves que j’avais à apporter, on voulait s’assurer que je n’étais pas une folle, ou une menteuse. J’ai trouvé ça pas correct et de mauvais augure pour la suite de la procédure. » Elle ajoute : « J’ai compris que mon affaire ne serait jamais traitée, qu’on n’en sortirait pas. C’est à ce moment que j’ai demandé à mon avocat de tout arrêter. » Elle pousse un long soupir : « Tout ça pour ça… »

Ainsi donc, Rose a décidé de jeter l’éponge. « Dans ma tête, j’ai déjà gagné, car je suis heureuse dans ma vie. Si j’ai fait tout ça, c’est aussi pour les autres, ceux qui subissent l’antisémitisme ordinaire et ne peuvent pas se permettre de faire comme moi, de le dénoncer. Je souhaitais vraiment aller au bout, car ce qui s’est passé, c’est grave, surtout de la part de futurs médecins. Mais j’ai des examens à passer et une vie à mener, je veux tourner la page. En fait, je suis fatiguée. » Pour un peu, elle s’en excuserait…

« Une défaite du droit et de la morale »

« L’incrimination de harcèlement antisémite a fait son entrée dans le Code pénal en 2017 ; à travers cette histoire, nous avons tenté une première judiciaire pour libérer la parole de ceux qui sont ostracisés en raison de leur origine ou de leur confession, notamment les lycéens et les étudiants », témoigne Me Péchard.

« Pierre Desproges disait que l’on pouvait rire de tout, mais pas avec tout le monde. Nous défendons cette conception de l’humour, mais en l’espèce, où est l’humour  ? Il n’y avait rien de drôle dans toutes ces paroles outrageantes et blessantes ; ma cliente n’y a lu que de la haine et de l’obsession. J’admire son courage et je ne peux que m’incliner devant sa décision. La justice est censée protéger les plus faibles, mais dans cette histoire, c’est le contraire qui s’est passé. J’y vois une défaite du droit, de la justice et de la morale. »
Nicolas Bastuck

*Le prénom a été modifié.
Source : lepoint.fr

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(1) Le verset biblique est de la rédaction de Évangéliques du Bas-Rhin

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