Liberté du culte : la porte étroite du possible

Le 4 mai 2020

La messe est-elle dite ? Parmi les diverses annonces du Premier ministre le 28 avril devant l’Assemblée nationale, la très brève allusion à l’exercice normal des cultes, hypothétiquement reporté bien après ce que l’on peut qualifier de début de la fin du confinement strict généralisé, a pu surprendre et a sans aucun doute beaucoup déçu et blessé. Et tout semble bloqué.

D’un côté, les pouvoirs publics, dans leur mission très difficile et assurément angoissante, tâchent de rattraper ce qui peut l’être. Confrontés à une série gigantesque de problèmes douloureux et complexes, ils optent pour une reprise très progressive, s’efforçant de relancer sans relâcher, au prix de cotes mal taillées. De l’autre, les fidèles des différents cultes, au premier rang desquels beaucoup de catholiques, laïcs et clercs, se voient victimes d’une grave injustice, qu’un grand nombre de nos évêques expriment.

L’exercice du culte est gravement diminué pour tous depuis plus d’un mois — incluant, pour les chrétiens, les juifs et les musulmans, les fêtes les plus importantes de l’année. Pourtant, des plans de bonnes pratiques sanitaires ont été proposés et sont encore travaillés : ainsi, la Province dominicaine de Toulouse, avec le concours de médecins, d’architectes et d’ingénieurs, achève-t-elle plusieurs modélisations et un plan pour des célébrations publiques, qui pourraient s’ajouter aux propositions épiscopales déjà précises. Dès lors, ces croyants se sentent touchés par une discrimination qui ne veut dire son nom, lorsque d’autres activités, équivalentes quant aux risques sanitaires, sont en passe d’être de nouveau autorisées partout où cela sera possible.

(…)

Marginalisation et discrimination

De nombreux croyants font aussi le constat triste et inquiet de l’achèvement de la marginalisation, voire de la négation de la dimension religieuse dans un monde massivement sécularisé : ils assistent à la manifestation de la panique douloureuse et brutale d’un système ignorant Dieu, et à la mise à l’écart, voire au rancart, de la liberté de religion dans sa dimension cultuelle constitutive, que l’urgence sanitaire ne fait que révéler. Cette liberté, quel que soit son degré de protection (clairement variable selon les systèmes juridiques nationaux), n’est pas seulement celle de la croyance : elle implique aussi l’autonomie d’organisation et des pratiques ainsi que l’exercice effectif et non entravé du culte selon ce que chaque religion détermine.

Pour elle, la croyance implique l’expression, et l’expression l’action, faute de quoi elle est dénuée de sens. Elle est évidemment concernée aussi par la non-discrimination et l’égalité, qui impliquent pour le culte de ne pas être moins bien traité que d’autres activités au motif d’être religieuse, ni, pour la croyance, d’être moins protégée de l’injure et de la diffamation pour ce même motif. Telle est la garantie offerte en principe (et déjà malmenée en temps normal) par la protection légale, constitutionnelle indirecte et conventionnelle (de la Convention européenne des droits de l’homme) par le droit français actuel. Or elle se trouve radicalement atteinte depuis un mois, et le devient au-delà de la limite admissible si l’on « déconfine » ailleurs alors que les risques sont identiques et les conditions générales considérées comme réunies pour autoriser de nouveau.

Une liberté niée de facto

Certes, la liberté de religion ne peut prétendre, dans le contexte actuel, être exercée sans limitations collectives : il faut l’accepter et le vivre, sans taire qu’il y aura toujours un écart et une divergence entre la vision croyante de la liberté religieuse et la conception laïque. Le combat demeure pour faire reconnaître la dimension spirituelle et religieuse comme constitutive de l’humain et de sa dignité. Mais les restrictions actuelles atteignent la liberté religieuse au point où elle est de facto niée.

Le flou quant à un rétablissement même partiel, tout comme la fragilité des motifs allégués (ce sont eux qui sont pertinents ici, et non les intentions, si bonnes soient-elles), donnent une situation difficilement acceptable sur le plan civique et juridique. Ce constat est accablant par lui-même, sans entrer dans une discussion sur les plans moral et spirituel, possible et même légitime, mais beaucoup plus complexe que les arguments non éclairés de la primauté absolue de la vie (tiens donc !), du sacrifice ou de l’« autrement ecclésial ».

Les catégories juridiques brouillées

Sommes-nous encore dans le cadre d’appréciation permettant de défendre et justifier la liberté de culte ? Tel est un autre motif de préoccupation. Le nouveau régime de l’état d’urgence sanitaire instauré par la loi du 23 mars dernier ne prend plus en considération qu’une vague faculté de réunion ou de rassemblement, mutante par rapport à celle des droits et libertés classiques : il brouille dangereusement les catégories juridiques en laissant incertaine la permanence du régime des libertés fondamentales qu’aucun état d’urgence n’abolit de manière générale et absolue.

Ainsi, alors que le Tribunal constitutionnel fédéral allemand vient de suspendre l’interdiction de cérémonies dans les lieux de culte édictée en Basse-Saxe, en France le Conseil d’État, le 30 avril, a confirmé en référé une ordonnance du Tribunal administratif de Paris du 21 avril relative au blocage, en Ile-de-France, du traitement des demandes d’asile. Quel rapport ? L’administration ne pouvait s’appuyer sur l’état d’urgence sanitaire et invoquer notamment les exigences des gestes-barrière et mesures de distanciation d’une part, et la possibilité de traitement à distance d’autre part, pour porter une telle atteinte à l’effectivité du droit d’asile, dont la garantie est constitutionnelle…

Le cadre du possible

Que faire alors ? Le portail des édifices cultuels et celui des ministères semble soigneusement refermé, mais une porte latérale reste ouverte. Dès lors qu’il n’est ni acceptable ni souhaitable de désobéir frontalement, demeure toujours accessible et praticable le sentier étroit de la liberté ainsi que le fil ténu de la discussion raisonnable. La voie étroite, pour les croyants, est celle de l’acceptation de formes restreintes et contraignantes dans le cadre du possible. Ce dernier, dans la limite désormais annoncée de regroupements de dix personnes au maximum, permet de fait la célébration de tous les sacrements, avec toutes les précautions sanitaires et dans l’intégrité liturgique. Ces réunions possibles ne seront (seraient) pas des « célébrations publiques », mais des réunions privées sur invitation nominative (ce qui les caractérise juridiquement), aussi fréquentes qu’il sera possible de le réaliser, dans des espaces privés (ouverts et, avec toutes précautions, fermés) et aussi dans les espaces cultuels fermés pour l’occasion et dans lesquels, dès lors qu’il y a culte, subsiste l’autonomie des activités. Possible, évidemment, demeure aussi la vie de prière et la communion fraternelle active toujours plus attentive et la disponibilité aux besoins du monde.

Du côté des pouvoirs publics, le chemin étroit est celui de la confiance, déjà manifestée lorsque les cultes ont été sollicités pour un service d’appel et d’écoute, avec des responsables et des fidèles qui ont montré leur loyauté et leur discipline, et qui sont prêts à discerner avec les préfets et les maires ce que le cadre légal et réglementaire permettrait. Un passage étroit pour une perspective possible ? Celle du 17 mai prochain, qui rendait possible la célébration communautaire de l’Ascension et de la Pentecôte pour les chrétiens, de la fin du ramadan avec l’Aïd El Fitr et du début de la fête juive de Chavouot…

Source : Aleteia

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