Le témoignage exceptionnel d’Asia Bibi

Le 31 janvier 2020

Ce n’était que quelques lignes dans un journal pakistanais anglophone mais il n’en fallait pas plus pour changer le cours de son histoire. Nous sommes en novembre 2010. Asia Bibi, jeune mère de famille chrétienne pakistanaise, vient d’être condamnée à mort pour blasphème. Le pape Benoît XVI exprime dans la foulée sa « solidarité spirituelle » avec Asia Bibi et plaide pour que soient respectés ses droits fondamentaux. La sentence autant que la réaction rapide du souverain pontife de l’époque créent une petite onde de choc dans la communauté de journalistes et correspondants présents dans le pays, dont la française Anne-Isabelle Tollet.

« Je me souviens parfaitement de ce moment », confie-t-elle à Aleteia. « Juste après mon duplex, le ministre des minorités pakistanais, Shahbaz Bhatti, est venu me voir et m’a dit : “ J’ai vu que tu as parlé d’Asia Bibi et ça tombe bien parce que j’aimerais qu’on en parle plus sérieusement : s’il n’y a pas une grande mobilisation internationale, Asia Bibi va mourir” ». Pendant près de dix ans, Anne-Isabelle Tollet va devenir la porte-voix d’Asia Bibi, se battant sans relâche pour sa libération. Le 31 octobre 2018, Asia Bibi est acquittée et exfiltrée de sa prison dans la nuit du 7 novembre.

Menacée de mort avec sa famille, elle quitte le Pakistan avec sa famille six mois plus tard et rejoint le Canada. C’est dans un lieu tenu secret qu’Anne-Isabelle Tollet lui a rendu visite et l’a rencontrée, après tant d’années, pour la première fois. « Je connaissais bien son mari, Ashiq, ses enfants, mais elle, je n’avais pas pu la voir en prison, on me l’a toujours interdit », explique-t-elle. « En voyant ce petit bout de femme, vivante et pétillante, j’ai été très touchée. C’est une sacrée leçon de courage qu’elle nous donne : c’est une battante, je dirais même une combattante ». Et une personne libre, enfin libre. Au cours de leur rencontre, les deux femmes ont décidé d’unir leurs voix, une nouvelle fois. Dans un livre intitulé Enfin libre ! à paraître mercredi 29 janvier aux éditions du Rocher, Anne-Isabelle Tollet a recueilli son témoignage exclusif. Elle en livre les coulisses à Aleteia.

Aleteia : Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’histoire d’Asia Bibi ?
Anne-Isabelle Tollet : (…) Le ministre des Minorités, Shahbaz Bhatti, est venu me voir chez moi et m’a dit : « J’ai vu que tu as parlé d’Asia Bibi et ça tombe bien parce que j’aimerais qu’on en parle plus sérieusement : s’il n’y a pas une grande mobilisation internationale, Asia Bibi va mourir ». Il m’a présenté à la famille d’Asia Bibi qui était cachée sous sa responsabilité. S’en est alors suivi un travail d’enquête : je me suis rendue dans son village, j’ai rencontré ses accusatrice, le mollah… et j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une véritable conspiration et absolument pas d’un blasphème. Là-dessus j’ai fait un premier reportage qui est passé au 20h de France 2. Mais j’ai aussi été touchée par la famille d’Asia Bibi qui était complètement démunie. J’ai pris conscience, à ce moment-là, que la loi du blasphème pouvait être une arme absolument redoutable. Et que tout citoyen pakistanais, quel que soit sa confession, vivait dans la terreur de cette loi qui pouvait, sur une simple accusation, mettre à mort un être humain.

Ashiq, le mari d’Asia Bibi, avec leur fille

Comment s’est passée votre rencontre avec Ashiq, le mari d’Asia Bibi, et ses enfants ?
J’ai rencontré Ashiq au domicile du ministre des Minorités. Il m’a demandé de venir un jour et il m’a présenté à la famille d’Asia Bibi. Ils étaient très démunis et j’ai bien vu que si on ne parlait pas de leur histoire ça allait se terminer comme souvent ces histoires se terminent : les familles sont lâchées dans la nature, assassinées. Quant à Asia Bibi, elle risquait à tout moment de mourir dans sa prison. J’ai été indignée par cette injustice et touchée par leur vulnérabilité.

Si vous n’avez jamais pu rencontrer Asia Bibi durant tout le temps où elle a été emprisonnée, vous vous êtes battue pour elle, pour faire connaître son histoire…
J’ai essayé d’aller la voir à de nombreuses reprises mais cela m’a toujours été interdit. J’aurais aimé pouvoir la rencontrer mais cela ne changeait rien au combat de fond. La mainmise des fanatiques et du fondamentalisme religieux sur la justice pakistanaise était contraire au droit du pays. Il n’était pas question de faire de l’ingérence dans cette république islamiste du Pakistan. Asia Bibi est devenue un symbole. C’est au nom de toutes les victimes qui vivaient dans la terreur de cette loi du blasphème, maintenue par les fanatiques religieux, que j’ai mené ce combat. Le cas d’Asia Bibi est devenu d’autant plus emblématique au Pakistan qu’un gouverneur musulman, Salman Taseer, a été assassiné le 4 janvier 2011 pour avoir pris sa défense mais aussi le ministre des Minorités, Shahbaz Bhatti, qui a été assassiné par les talibans pakistanais le 2 mars pour les mêmes raisons.

Quelles ont été les grandes étapes de ces neuf années de combat pour sa liberté ?
C’est long, neuf ans. Moi qui suis journaliste, je sais à quel point une actualité en chasse une autre et qu’il ne faut pas qu’il y ait effet de lassitude. C’est un combat long avec assez peu de rebondissements, une histoire complexe et pas évidente médiatiquement parlant. Connaissant les rouages des médias, je savais à quel moment ça prendrait, sous quel angle, quelle accroche utiliser… Je savais quoi faire pour qu’il y ait des échos. Il y a eu des articles dans la presse pour faire connaître son histoire, deux livres, des alertes régulières auprès de la communauté internationale pour qu’Asia Bibi ne tombe pas aux oubliettes et qu’elle puisse être protégée en prison, qu’elle ne soit pas assassinée. J’ai aussi écrit avec Ashiq, le mari d’Asia Bibi, une lettre pour remercier Anne Hidalgo d’avoir fait d’Asia Bibi une citoyenne d’honneur de la ville de Paris. Une lettre qui a été largement relayée par des médias internationaux. Ça a fait le tour du monde et ça a remis Asia Bibi dans la lumière. Lors de l’ice bucket challenge, j’avais lancé sur les réseaux le challenge « un verre d’eau pour Asia Bibi ». En fait, c’est cette chaîne humaine qui a permis de maintenir cette histoire dans les médias.

Le 16 octobre 2014, la cour d’appel de Lahore confirme la condamnation à mort d’Asia Bibi qui fait un ultime recours devant la Cour suprême du Pakistan…
Après son deuxième jugement devant la cour d’appel de Lahore, elle aurait pu être pendue dans les quinze jours qui suivaient. Il y a eu à ce moment-là une pression sur le Pakistan de la part des médias et de la communauté internationale. En 2016, une résolution a été votée au Parlement européen visant à sanctionner financièrement le Pakistan s’il ne respectait pas les droits de l’Homme. C’est aussi passé par la médiatisation d’événements comme le fait que plusieurs maires aient fait d’Asia Bibi une citoyenne d’honneur. Chacun des trois derniers présidents de la République, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, ont tous décroché leur téléphone pour appeler leur homologue pakistanais pour lui dire qu’ils étaient inquiets de la situation d’Asia Bibi. Cela a évidemment exercé une pression sur le Pakistan qui a été regardé de près par la communauté internationale et qui ne pouvait pas ouvertement bafouer les droits de l’Homme.
(…)

Prévu le 13 octobre 2016, le procès en appel est finalement reporté à une date ultérieure en raison des fortes pressions exercées par des fanatiques religieux. Vient finalement le temps de l’acquittement, le 31 octobre 2018, de l’exfiltration de sa prison et de son départ pour le Canada six mois plus tard. Qu’avez-vous ressenti ?
Un grand bonheur et le sentiment d’un devoir accompli. Asia Bibi libre, elle a pu retrouver son mari, ses enfants qui ont été privés de leur maman depuis dix ans. J’étais heureuse aussi de montrer à mes enfants, qui ont finalement grandi avec l’histoire d’Asia Bibi, qu’à force de ténacité, même si cela semble impossible, on peut déplacer des montagnes, atteindre ses objectifs.

« Quelle joie de voir ce petit bout de femme, vivante et pétillante ! »

Enfin libre ! Asia Bibi avec Anne-Isabelle Tollet, Éditions du Rocher, 29 janvier 2020.

Vous avez finalement pu la rencontrer, pour la première fois, au Canada. Qu’est-ce que cela vous a fait ?
Au bout de dix ans on finit par se demander si elle existe vraiment ! J’étais émue et intimidée : j’ai vu pour la première fois la personne pour laquelle j’étais devenue le porte-voix. Mais quelle joie de voir ce petit bout de femme, vivante et pétillante ! J’ai été encore plus heureuse de constater à quel point elle était une battante : elle n’était pas usée par ces dix années de prison, elle ne s’est pas apitoyée sur elle-même. C’est une femme battante, combattante.

Comment est Asia Bibi ?
Elle a une forme d’autorité naturelle. À la maison c’est elle la boss : on passe à table quand elle décide qu’on passe à table. Mais elle est aussi très rigolote : sans parler la même langue nous avons beaucoup ri de petites situations qui feraient sourire certaines personnes mais qui elle la font rire aux éclats. Elle est aussi vive et intelligente. Elle a pris beaucoup de recul sur toutes ces années et est capable de voir qui l’a vraiment aidée et qui s’est servi d’elle pour faire de la récupération politique. Elle est très lucide. Asia Bibi est triste d’avoir quitté le Pakistan mas elle veut continuer à se faire le porte-voix de toutes les personnes injustement accusées de blasphème, notamment les chrétiens. Et il y en a encore beaucoup : peu de temps après son départ de prison, c’est une nouvelle chrétienne, Kausar Shagufta, une maman de quatre enfants âgés de 5 à 13 ans, qui l’a remplacée dans sa cellule. Elle a été condamnée à mort pour blasphème. D’après l’imam d’une mosquée locale, elle aurait envoyé, avec son mari, des SMS en anglais insultant le prophète. Des faits d’autant plus inimaginables qu’ils sont tous les deux analphabètes. Oui, il y a encore beaucoup de travail !

Source : Aleteia

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Lire également : Asia Bibi : « Je compte demander l’asile politique à Emmanuel Macron »

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