Les rassemblements de Hongkong, qui se succèdent depuis le 9 juin, sont souvent constitués par des foules immenses qui s’assoient dans la rue. Et de nombreuses vidéos qui circulent sur Internet les montrent en train d’entonner le chant « Sing Hallelujah to the Lord » (en français, « Chante alléluia au Seigneur ») face aux forces de l’ordre.
Les raisons de ce choix surprenant seraient d’abord pragmatiques. Les réunions de prière, même spontanées, sont légales sur ce territoire indépendant du sud-est de la Chine, et ne sont pas comprises dans la définition des rassemblements que le gouvernement pourrait être tenté d’interdire. Alors que les forces de l’ordre ont commencé à sévir contre des manifestants scandant des slogans politiques, prétextant des « émeutes », elles laissent pour le moment tranquilles ceux qui ressemblent à de pieux chrétiens. Par ailleurs, les vidéos de ces manifestations sont devenues virales sur la toile et attirent une attention médiatique internationale embarrassante, et donc une pression supplémentaire sur le gouvernement, que celui-ci n’avait pas prévue.
Mais le choix d’un chant chrétien est aussi lié au fait que les Hongkongais identifient avec le christianisme des valeurs positives, comme la liberté d’expression. La revendication de fond des manifestants est de préserver l’État de droit et le statut semi-autonome de l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine populaire en 1997. Par ailleurs, beaucoup des manifestants sont tout simplement chrétiens (religion de 10 % de la population hongkongaise), et s’inquiètent particulièrement de tout rapprochement avec la Chine populaire, qui mène chez elle une véritable répression à l’égard de leurs coreligionnaires, dont le nombre est en très forte croissance. Ainsi, les Églises de Hongkong s’impliquent fortement dans le mouvement, notamment le diocèse catholique local. Son évêque émérite, le cardinal Joseph Zen, connu pour ses positions contre le régime de Pékin, a appelé tous les Hongkongais à rejoindre le mouvement. Plusieurs Églises évangéliques ont fait de même. Le pasteur baptiste Chu Yiu-ming, qui avait déjà participé à un mouvement pour le droit de vote en 2017, fait partie des leaders religieux connus qui manifestent quotidiennement.
Quant à l’hymne utilisé, il illustre aussi une forme de mondialisation du christianisme. À Hongkong, ce sont des groupes d’étudiants catholiques qui ont été les premiers à l’entonner. Or, « Sing Hallelujah to the Lord » – tube souvent repris dans les messes et les cultes à travers le monde, y compris en France – vient des États-Unis et a des origines protestantes. Chant de louange par excellence, prévu pour Pâques, il évoque, par sa mélodie sobre en mineur et un texte qui tient en une phrase, le style néo-classique et œcuménique à la Taizé. Il a en réalité été écrit en 1974 par une certaine Linda Stassen, qui faisait partie du mouvement hippie évangélique, les Jesus People. Inspirée par la liturgie des premiers chrétiens, elle aurait trouvé la mélodie un jour… sous la douche, a-t-elle expliqué.
D’abord très populaire dans les milieux évangéliques, le chant a été traduit dans d’autres langues dans les années 1980, période à laquelle il a aussi été repris par l’Église catholique. En France, on le retrouve d’abord, dès 1986, dans les cahiers de Jeunesse en Mission, une organisation missionnaire évangélique. Et côté catholique, la Communauté de l’Emmanuel est la première à l’intégrer dans ses carnets de chants, avant qu’il devienne un chant de messe très populaire. Drôle de destin, en somme, pour un cantique né en Californie dans une assemblée pentecôtiste de convertis zélés.
Henrik Lindell
Source : La Vie
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