Cyber harcèlement, des vies détruites

Le 20 mai 2019

« Le cyberharcèlement ? On n’est qu’au début de l’histoire, prédit l’avocate Delphine Meillet, spécialisée en cybercriminalité. Je reçois de nouveaux dossiers tous les jours. Le harcèlement en ligne se pratique entre collègues de travail, entre ex-conjoints et, évidemment, entre ados. »

Un constat confirmé par un sondage Ifop (1) publié en février : 8 % de la population déclare « avoir été la cible d’attaques répétées en ligne ». Un chiffre qui monte à 22 % chez les 18-24 ans.

Remonter aux auteurs, une gageure

En théorie, les espaces virtuels n’échappent pas au Code pénal : un délit spécifique de « harcèlement en ligne », sanctionné de trois ans de prison, existe bien depuis 2014. En pratique, l’impunité reste de mise. Pour preuve, on ne recensait ainsi que 17 condamnations en 2017. Et pour cause, les magistrats ont le plus grand mal à identifier les internautes s’exprimant sous pseudo. « Nous dépendons totalement des plates-formes pour obtenir leur adresse IP. Sans réponse de leur part, nos enquêtes s’enlisent », déplore la magistrate Lucille Rouet.

À défaut d’obtenir gain de cause en justice, les victimes peuvent signaler aux réseaux sociaux les messages illicites les visant afin qu’ils soient retirés. Mais, là encore, les géants du Net ne jouent pas tous le jeu se réfugiant souvent derrière le droit américain – et sa lecture très extensive de la liberté d’expression – pour ne pas donner suite.

« L’appel de Christchurch », lancé à Paris le 15 mai avec l’aval de Facebook, Twitter ou Google va, certes, dans le bon sens. Mais les GAFA ne se sont engagés que sur un point : le retrait des contenus « terroristes et extrémistes violents », laissant de côté tous les autres messages haineux. Pas de quoi, donc, changer quoi que ce soit au fléau du harcèlement.

Responsabiliser les plates-formes

Côté français, la proposition de loi de la députée LREM Laetitia Avia – qui doit être débattue avant l’été – répond en partie au défi posé. Le texte exige par exemple des réseaux sociaux qu’ils fournissent impérativement aux enquêteurs l’identité des internautes recherchés. Il oblige par ailleurs les plates-formes en ligne à retirer dans les 24 heures « tout contenu comportant manifestement une incitation à la haine ou une injure discriminatoire », et ce sous peine d’une amende dissuasive. Reste à savoir si le texte, accueilli froidement par les géants du Web, sera voté en l’état… et si ces derniers se plieront aux exigences des juges.

Par-delà les réponses juridiques, voire judiciaires, reste la question de la prévention. Pour Lucille Rouet, « elle est d’autant plus fondamentale que le harcèlement en ligne gagne vraiment du terrain chez les jeunes ». Samuel Comblez, directeur de E-Enfance – dont la plate-forme Net écoute gère plus de 10 000 appels par an – plaide en faveur d’une vaste campagne de sensibilisation : « Internet, c’est la vraie vie, assure-t-il. Ce qui se dit les réseaux sociaux ne flotte sur la Toile de manière éthérée, cela peut détruire des vies. » Les trois témoignages suivants en font état.

« 25 000 tweets en 48 heures, c’est d’une incroyable violence »

Nicolas Hénin, ex-otage de Daech et spécialiste de la lutte contre le terrorisme

« J’appelle à ce que vous vous fassiez égorger », « On aurait dû te laisser crever chez Daech », « C’est lui qui mérite l’exécution ». Voilà quelques-uns des messages reçus en début d’année par Nicolas Hénin, ex-otage de Daech et aujourd’hui spécialiste en conseil sur la lutte contre le terrorisme. « J’ai reçu 25 000 tweets de menaces ou d’injures en l’espace de 48 heures. C’est d’une incroyable violence. » Un déferlement de haine après la dénonciation, par l’intéressé, des propos du père d’une victime du Bataclan qui venait d’appeler à ce qu’on fusille les djihadistes à leur retour en France. « Après ce signalement, j’ai fait face à un raid numérique massif et parfaitement coordonné. Certains tweets menaçants utilisaient des photos de mes enfants. Pour mon épouse, ça a été extrêmement dur à encaisser. Être ainsi pris pour cible, c’est très éprouvant ». Pudique, il n’en dira pas plus. Impossible de savoir si ces menaces seront, ou non, mises à exécution. Nicolas Hénin ne veut pas y croire mais ajoute, tout de même : « Je m’attends à ce qu’un jour à l’autre, on me casse la figure dans la rue ».

Survivre à Daech et être menacé de mort une fois de retour en France… L’ironie de la situation pourrait faire sourire si le sujet n’était pas si grave. L’ancien reporter puise aujourd’hui sa force dans son épreuve syrienne : « J’ai été torturé par des mecs de Daech pendant dix mois alors ce ne sont pas des petits cons planqués derrière leurs claviers qui vont me faire peur ! » Pas sûr, toutefois, qu’il ait un jour gain de cause : « Mes signalements à Twitter sont restés sans réponse, c’est scandaleux ! » Quant à la voie judiciaire, elle reste des plus incertaines : « J’ai saisi la justice mais les enquêteurs sont totalement débordés. Et puis, que peuvent-ils face à un raid numérique passant par le Dark Web et des fermes à trolls basées à l’étranger ? » Il laisse sa question en suspens, mais on devine sa réponse.

« J’ai fini par douter de tout le monde »

Florence Porcel, vulgarisatrice scientifique

Aujourd’hui, c’est la voix haute et le regard déterminé que Florence Porcel témoigne de ce que lui a infligé la « ligue du LOL » – une bande de communicants ayant harcelé en ligne des dizaines de victimes au début des années 2010. Après avoir tout gardé pour elle pendant des années, la jeune femme témoigne volontiers aujourd’hui. « Je ne disais rien à personneMe taire, c’était une façon de nier l’existence même du harcèlement », décrypte-t-elle avec le recul. Prise dans la nasse des « ligueurs », la jeune précaire a tout subi : insultes sur les réseaux sociaux, montage pornographique, canular téléphonique, etc. Il a fallu faire avec l’humiliation publique – puisque tout est visible des internautes – mais, surtout, avec des questionnements sans fin. « On se dit : pourquoi moi ? Surtout, on finit par douter que ça s’arrête un jour. Ça, c’est terrible. » Les jours d’attaques trop virulentes, Florence Porcel se réfugie au cinéma… pour ne pas être tentée de regarder ce qu’on dit d’elle sur les réseaux sociaux.

« Un jour, j’ai réalisé que ce harcèlement me bouffait tellement que j’en venais à douter de tout le monde. » Y compris dans sa sphère la plus intime. « Je me suis mise à craindre un « revenge porn » (2) et je n’ai plus jamais accepté qu’un compagnon garde son portable dans notre chambre à coucher… » Aujourd’hui, elle regrette de ne pas avoir dénoncé ces faits. « Tout est prescrit désormais, bouillonne-t-elle.Mais, je n’avais de toute façon ni les épaules, ni les moyens d’aller en justice. »

« On finit par penser qu’on mérite ce qui nous arrive »

Anne Lise, lycéenne

Ses bonnes notes ont perdu Anne Lise. À partir de la cinquième, cette collégienne modèle est devenue le souffre-douleur d’une petite bande de garçons de sa classe. Chahutée dans les couloirs, raillée pour son air « trop intello », l’adolescente est progressivement attaquée en ligne. « C’était très oppressant car les brimades ne se cantonnaient plus à l’école. Je n’avais plus aucun répit, même à la maison le soir. »

La plupart des injures sont d’ordre sexuel, toutes extrêmement dégradantes. Très vite, le phénomène prend de l’ampleur. « Les posts de mes cinq agresseurs du départ ont petit à petit été relayés par tous leurs amis sur Facebook. » Tandis que les insultes vont crescendo, les notes d’Anne Lise, elles, dégringolent. « C’était tellement irrationnel d’être prise ainsi à partie qu’on finit par penser qu’on mérite ce qui nous arrive ».

Sa mère exige qu’elle quitte Facebook. « J’ai résisté au début. Pour ma génération, c’est là que tout se passe, plaide l’adolescente. C’est là que je pouvais échanger avec mes camarades du club de handball, mais aussi avec toute une partie de ma famille basée en l’étranger. »Renoncer aux réseaux sociaux, c’était s’amputer une partie d’elle-même.

Anne Lise finit par s’y résoudre, ne conservant que la messagerie instantanée Messenger. Pas de quoi calmer ses harceleurs qui l’agressent très gravement à la sortie du collège… Exclus de l’établissement, poursuivis en justice, les adolescents n’ont toutefois jamais eu à répondre du délit de harcèlement en ligne. « Pour les enquêteurs, ces attaques en ligne étaient complètement secondaires », note l’intéressée.

Quatre ans ont passé. Anne Lise dit continuer d’avoir une piètre image d’elle-même après avoir été tant « piétinée » sur les réseaux sociaux. Ces derniers mois pourtant, un projet lui redonne goût à la vie : « Faire du droit… pour rendre la justice. »

(1) Sondage réalisé pour France Info les 13 et 14 février 2019 auprès de 1 003 personnes selon la méthode des quotas.

(2) Photo ou vidéo à caractère sexuel publié en ligne sans le consentement de la personne, par « vengeance »

Source : La Croix

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