Désireux de partager son goût pour le dessin, Xavier décide il y a deux ans d’ouvrir un compte Instagram. Après quelques histoires humoristiques centrées sur des anecdotes du quotidien, son compte prend un nouveau tournant lorsqu’il dévoile, petit à petit, son métier d’infirmier aux soins palliatifs. Ces histoires, émouvantes et drôles, finissent par toucher un lectorat de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, c’est plusieurs centaines de nouveaux abonnés qui s’abonnent chaque mois avec actuellement 60.000 followers au compteur. Mais pourquoi un tel succès ? Mal connus, les soins palliatifs sont souvent synonymes de crainte et d’angoisse. Parler de la mort, ce n’est jamais facile, et pourtant la fin de vie concerne tout le monde, de près ou de loin. Avec humour et une légèreté déconcertante, Xavier offre un nouveau regard sur son métier et lève les idées reçues. « Dans fin de vie, il n’y a pas que le mot “fin”, il y a le mot “vie” », confie-t-il.
Aleteia : Pourquoi avoir choisi de parler de votre quotidien d’infirmier aux soins palliatifs sur Instagram ?
Xavier : J’ai toujours aimé le dessin, c’est quelque chose que je pratique depuis mon plus jeune âge, inspiré par la bande-dessinée. Et puis j’ai toujours aimé raconter des histoires. Quand j’ai découvert les soins palliatifs, dans mes études et tout au long de mon parcours professionnel, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de belles histoires humaines à raconter. C’est un milieu très anxiogène pour les gens qui ne connaissent pas. Et puis j’en avais un peu marre des gens qui faisaient des têtes de six pieds de long à chaque fois que j’évoquais mon métier. J’adore mon travail, j’en suis très fier et je suis totalement épanoui dans ce que je fais. Ce n’est pas quelque chose d’angoissant ou d’anxiogène pour moi.
Pensez-vous que les soins palliatifs sont trop souvent synonymes de mort ?
Effectivement, les soins palliatifs véhiculent une forte image de mort, de fin de vie. Mais ce que j’aime à rappeler à mes étudiants c’est que dans le terme « fin de vie », il y le mot « fin », certes, mais il y a aussi le mot « vie ». La vie est encore là et notre travail c’est justement d’en prendre soin, de la soulager, de l’accompagner jusqu’au bout.
Comment réagissent ceux qui vous suivent sur Instagram ?
Je reçois beaucoup de messages d’étudiants qui désirent devenir infirmiers ou des familles qui accompagnent des malades en fin de vie. Ils angoissent beaucoup sur la souffrance mais, grâce à mes histoires, j’ai le sentiment qu’ils se sentent un peu soulagés. Cela leur permet de porter un regard plus positif sur les soins palliatifs. Ils sont aussi rassurés de voir qu’il y a des personnes qui travaillent avec envie et humanité.
Pensez-vous que les gens ont besoin de cela ? De voir qu’au-delà de la blouse du médecin ou de l’infirmier, derrière cette maîtrise de soi nécessaire, le corps médical ressent également des émotions face à ses patients ?
Oui, c’est important que les patients et l’entourage ressentent qu’il y a des gens qui sont passionnés par leur métier, qui prennent à cœur d’accompagner les malades. Souvent, les patients savent que le corps médical n’a plus les moyens de les guérir, c’est donc très anxiogène pour eux et leur famille. C’est d’autant plus important pour nous de leur montrer que si on ne peut plus les guérir, on a à cœur de leur offrir un maximum de confort le temps qu’il leur reste à vivre.
Comment construisez-vous vos histoires ?
Beaucoup des histoires que je raconte me sont arrivées en début de carrière. Il y a tout un travail de maturation. Il est vrai que j’écris beaucoup, presque quotidiennement en revenant du travail, mais j’ai besoin de laisser dormir les histoires. Il n’y a pas toujours un début et une fin, parfois se sont simplement des instants qui m’ont touché et que j’ai envie de raconter. Mais il faut que je trouve le bon angle. C’est le cas de Christine, une histoire qui m’avait beaucoup ému mais je ne savais pas comment la raconter. Elle était déjà écrite mais je l’ai laissé longtemps de côté. Puis, au détour d’un cours, une jeune étudiante m’a demandé si cela m’était déjà arrivé de pleurer devant un malade ou une famille. Je lui ai alors raconté l’histoire de Christine. C’est à ce moment là que j’ai trouvé mon angle. Il y en a d’autres qui sont plus évidentes, comme celle de Nanie qui avait demandé à être enterrée avec un de mes dessins. Cette fois-là, c’était tellement fort qu’il n’y avait pas besoin d’angle pour la raconter.
Comment gérer la relation avec les patients et cette proximité quotidienne avec la mort ?
Avec le temps, j’ai appris à m’investir avec justesse avec les patients. Je connais mes propres limites. Dans les écoles d’infirmiers on nous apprend « la distance professionnelle ». Je n’aime pas trop ce mot. Cela part du principe qu’il faut nécessairement mettre de la distance pour rester professionnel alors, qu’au contraire, c’est un métier dans lequel il faut s’investir. Je préfère parler de « juste investissement » ou « juste proximité ». Je donne tout ce que je peux donner, tout ce que j’ai à donner, mais cela reste dans un accompagnement cadré. Je ne suis pas du genre à m’embarrasser de protocoles pour les relations humaines. Concernant la mort j’y suis habitué donc cela est moins difficile pour moi. Je sais que la plupart des malades que l’on reçoit dans le service vont mourir. C’est toujours dans un coin de mon esprit. Ma mission, ce n’est pas de les empêcher de mourir, c’est de leur permettre de finir leur vie dignement, confortablement, sans souffrance, qu’elle soit physique ou morale. Et quand j’y arrive, je suis content, soulagé et fier. Évidemment, il y a des patients auxquels je m’attache plus. Nous sommes perpétuellement à leurs côtés, jours et nuits, alors se créent des relations particulières, on parle, on se confie…
Vous n’avez jamais eu envie d’arrêter ?
Non, au contraire ! J’entends tellement de personnes me dire « tu ne peux pas faire ta carrière en soins palliatifs » et je suis tellement convaincu du contraire. J’ai l’impression de n’avoir déployé qu’un tiers de mes ressources. J’ai encore tellement de choses à faire et à donner dans ce métier que je suis persuadé qu’on peut s’y épanouir pleinement et durablement.
Pourquoi « l’homme étoilé » ?
Cela fait écho à l’histoire d’une de mes patientes, Blanche. Cinq matinées par semaine je devais m’occuper d’elle, lui faire sa toilette. C’était assez compliqué, tout se passait dans un silence religieux, j’avais l’impression que c’était une agression pour elle. Je lui avais proposé de la musique, j’essayais de lui parler mais elle répondait à peine. À un moment donné j’ai insisté un peu plus fortement, mais toujours avec bienveillance, pour qu’elle puisse me dire ce qu’elle aimait comme musique et elle m’a sorti du bout des lèvres : « Brel ». J’étais tellement heureux de pouvoir lui offrir quelque chose qui pouvait lui faire plaisir que j’ai commencé à faire le guignol en dansant et chantant dans sa chambre. Et c’est la première fois en cinq jours que je l’ai vu sourire. Puis un jour sa fille m’interpelle dans le couloir et me disant qu’elle avait demandé à sa mère pourquoi elle souriait ainsi. Blanche avait alors répondu : « L’homme étoilé m’a mis du Brel », en faisant référence à mes tatouages. J’ai trouvé cela magique. Apporter un peu de bonheur aux patients, c’est ce à quoi j’aspire. « L’homme étoilé », ça sonnait un peu super-héros !
Compte Instagram : L’homme étoilé
Source : Aleteia
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