Lorsque Calvin demandait à être enterré dans une fosse anonyme, cousu tout nu dans un linceul à même la terre, sans cercueil et sans solennité, il était dans le droit-fil de la Réforme, rompant avec le culte des morts comme avec le sacrement de l’extrême-onction. Il était cohérent avec son Traité des reliques, où il moquait avec une jubilation rabelaisienne la superstition des reliques des saints. Il voulait rendre impossible tout pèlerinage sur sa tombe – ce à quoi Lénine n’a pas pensé ! Il voulait libérer les fidèles de la religion superstitieuse, de toute crainte comme de toute adoration des morts. Il voulait les libérer de l’obligation onéreuse d’en passer par une institution (Église ou autre) qui ferait payer aux vivants les rites funéraires de passage des morts. Il voulait que la mort puisse être l’occasion de sentir enfin l’égalité de tous devant Dieu, l’humilité de s’en remettre entièrement à Lui et de laisser la place à d’autres. La sépulture est un moment essentiel de la prédication, mais c’est justement un moment périlleux, un moment où les proches sont dans le trouble.
Je voudrais revenir à cette rupture initiale, qui a été amoindrie, pour montrer comment elle peut parler aujourd’hui. Le 3e Synode de l’Église réformée de France, en 1562, interdisait aux pasteurs de faire des prières à l’enterrement des morts, et cet interdit a tenu longtemps. Ce n’est que peu à peu, à l’image du rituel catholique, mais aussi des rites funéraires sécularisés, souvent vides de contenu, que les corps des morts sont revenus au temple avant l’inhumation.
Pire, avec les pompes funèbres, on a la forme extérieure d’un sacrement, cher payé, qui ne peut qu’étouffer une parole sans prix, de grâce et de résurrection qui, pour les vivants, dise non l’immortalité de l’âme ni même la consolante continuité de la vie, mais la profondeur et la radicalité de la mort, et la confiance que rien ne nous séparera de l’amour de Dieu. Oui, les protestants devraient transgresser les normes onéreuses de ce pays d’autant plus catholique qu’il ne l’est plus, réclamer et retrouver leurs gestes anciens, d’une simplicité évangélique, qui disent mieux que tout combien toutes les existences qui ont été sont dans la main de Dieu.
Source : Réforme