« À nouveau, depuis plusieurs années, l’antisémitisme tue en France. » Dans un discours poignant au Crif le 20 février (voir vidéo), Emmanuel Macron a annoncé de « nouvelles lignes rouges » ainsi que des « actes tranchants » pour lutter -notamment sur Internet- contre la haine antijuive. « L’antisémitisme n’est pas le problème des juifs. C’est le problème de la République », a rappelé le chef de l’État, avant de citer les noms de « grands juifs » auxquels les « villes et villages » de France doivent tant « depuis des siècles et des siècles ».
A l’heure où l’antisémitisme connaît un sinistre regain, le Parisien revient sur le sort qui fut régulièrement réservé aux juifs au fil de l’histoire.
Se convertir ou partir
Le mercredi 4 novembre 1394, Jacques Prévost, crieur du roi Charles VI, annonce aux Parisiens : « Dorénavant, nul juif ou juive ne pourra demeurer en notre royaume. » La décision est « irrévocable », « sans exception ni privilège », martèle le crieur public, et vaut pour tout le pays, « tant en langue d’oïl (NDLR : la langue qui est parlée dans le nord du pays au Moyen Âge) qu’en langue d’oc (le Sud) ». Les cloches, les affiches placardées aux portes des églises, les bannières prennent le relais dans la ville.
Il faut des semaines pour que l’ordonnance royale, promulguée le 17 septembre, fasse le tour du royaume. Les juifs n’ont plus beaucoup de temps pour boucler leurs paquetages et vendre leurs biens : d’ici janvier, ils devront avoir quitté les portes du royaume, vers la Provence, l’Alsace, la Savoie, les contrées italiennes ou espagnoles, voire la Terre sainte si ça leur chante.
Se convertir ou partir : ce dilemme, ils le connaissent par cœur. Depuis deux siècles, c’est le sort cruel et absurde qui leur est régulièrement réservé : le roi les somme de déguerpir… puis les autorise à revenir. Philippe Auguste, le premier, avait ordonné leur expulsion en 1182 avant de battre le rappel en 1198. Louis-IX, futur Saint-Louis, l’imita en 1254, puis son fils Philippe III « le Hardi » en 1271.
Quand Philippe le Bel, à son tour, les bouta en 1306, la saignée fut à la mesure d’un royaume qui s’était considérablement agrandi : près de 100 000 juifs durent le quitter. Même s’ils furent autorisés à revenir moins d’une décennie après, quelque chose avait changé. Pour la première fois, le sésame était provisoire : un bail de douze ans, éventuellement prolongeable en fonction des circonstances.
La grande peste de 1348
Après des siècles de relative tranquillité, leur précarité est devenue totale. Les croisades sont passées par là. Le climat de ferveur religieuse nourrit un antisémitisme croissant contre les « assassins de Jésus ». Jusque-là, le pouvoir veillait sur eux : malgré leur « faute » contre le Christ, ils restent le peuple élu, dépositaire des vérités l’Ancien Testament.
Les rois, désormais, composent avec cette détestation populaire pour ne pas être suspects « d’aimer les juifs ». Il n’y a qu’à se glisser dans les mules du pape, qui prêche -depuis le concile de Latran en 1215- pour la séparation des juifs d’avec les chrétiens. En 1259, le très pieux Louis IX leur impose la rouelle. Ce morceau d’étoffe jaune, porté sur le dos sous peine d’une forte amende, doit permettre de mieux les différencier, d’éviter les mariages mixtes, d’empêcher un supposé prosélytisme… Suite logique : les juifs sont « invités » à prendre leurs quartiers ailleurs, dans ce qu’on appellera bientôt les ghettos.
L’antisémitisme avait déjà fait rage lors de la grande peste de 1348 : accusés d’empoisonner les puits, de nombreux juifs sont jetés dans les bûchers ou massacrés. Leur nouveau statut de bouc émissaire prend un autre tour en 1382 lors de la révolte des Maillotins contre les nouveaux impôts qui leur sont réclamés. Armés de maillets en plomb (la porte Maillot, ça vient de là !), les Parisiens massacrent les collecteurs d’impôts puis se défoulent sur le quartier juif.
Parfaits boucs émissaires, encore une fois : contrairement aux chrétiens, ils ne peuvent cultiver la terre, mais eux sont autorisés à prêter de l’argent avec intérêt, une large partie des bénéfices allant… au souverain. La rumeur les accuse de sucer le sang économique des chrétiens par l’usure… et tant qu’à faire, du sang des bébés qu’ils assassineraient en douce pour satisfaire leurs rituels hérétiques.
La route de l’exil
Châtier les juifs pour sauver le royaume, comme un rite de purification : c’est dans ce climat nauséabond que l’édit du 17 septembre 1394 est prononcé par Charles VI. « Comme les juifs sont responsables de la famine, avec leur départ nous ne souffrirons plus jamais », proclame l’ordonnance.
Un an plus tôt, le jeune Valois, 26 ans, avait pourtant fait interdire les injures contre les juifs, victimes d’insultes et d’humiliations. Mais six mois plus tard, il les avait punis en annulant les créances qui leur étaient dues… puis les avait rétablis dans leurs privilèges en juillet… pour les bannir définitivement à la fin de l’été. À n’y rien comprendre !
Il faut dire que depuis deux ans, ça ne va pas très fort pour Charles. En août 1392, il a été pris d’une crise de démence en traversant la forêt du Mans. Le « roi fou » ne reconnaît plus personne, frappe le premier venu, se fait appeler Georges et dit avoir pour arme un lion transpercé d’une épée ! Ses oncles prennent alors le relais, puis quand sa schizophrénie reflue, il tente de reprendre la main.
Cette versatilité du pouvoir ne fragilise pas seulement le trône : elle met fin à dix siècles d’histoire juive en France.
1791, l’émancipation
Chassés au Moyen Âge, les juifs ont été timidement réintégrés à mesure que le royaume de France s’agrandissait. Avant la Révolution, ils ne sont que 40 000, soit 2 % de la population. L’abbé Grégoire œuvre au décret d’émancipation, voté dans la douleur le 27 septembre 1791. Les juifs de France retrouvent enfin droit de cité. Une nouvelle ère de liberté s’ouvre pour eux… mais malheureusement pas la fin de leurs problèmes.
Au temps de l’intégration succède une forte poussée d’antisémitisme dès la fin du XIXe, qui connaît son paroxysme avec l’affaire Dreyfus. Le 25 avril 1939, un décret-loi (Marchandeau) prévoit pour la première fois des sanctions pénales contre la propagande antijuive, mais c’est à partir de 1945 que l’antisémitisme va vraiment devenir un « crime » passible de poursuites judiciaires.
Entre-temps, le régime de Vichy a contribué à l’assassinat du quart des juifs de l’Hexagone (10% des juifs français, 40 % des étrangers).
Source : Le Parisien
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