Le phénomène concernait il y a vingt-cinq ans les lycées professionnels ou ces collèges de cités qui concentrent les populations issues de l’immigration. Mais aujourd’hui, les difficultés liées à la religion se sont étendues à tout le territoire et à tous les échelons du monde scolaire, de la maternelle au bac.
S’il ne concerne pas que cette confession, c’est bien évidemment l’islam qui provoque les plus grandes difficultés. Le journaliste Frédéric Béghin, au terme d’un an d’enquête auprès d’enseignants, de chefs d’établissements, de cadres de l’éducation et de chercheurs fait l’inventaire des situations problématiques dans le livre « une prière pour l’école »(1).
Ce sont des élèves qui réfutent le contenu de certains enseignements, contestent la légitimité d’un professeur d’histoire à parler de l’islam. En littérature, une inspectrice évoque des élèves qui, il y a quelques années, refusaient d’étudier un sac de billes de l’auteur juif Joseph Joffo ou un roman de Daniel Pennac, Au bonheur des ogres, jugé « obscène ». « Une dizaine d’années plus tard, la liste des œuvres « difficiles » s’allonge dans certains collèges. Dans ce climat, il arrive qu’un professeur de lettres renonce à l’étude d’un texte si la séance menace d’être orageuse » relate l’ouvrage.
Signal d’alarme
Sur le terrain de la vie scolaire, les difficultés se multiplient, qu’il s’agisse des repas à la cantine, des demandes de prise en compte de fêtes religieuses, des refus de participation à des sorties scolaires ou aux activités sportives…
En 2004, le rapport de l’inspecteur Jean-Pierre Obin avait tiré le signal d’alarme, mais l’institution scolaire avait préféré le mettre sous le boisseau. La France venait d’adopter la loi sur les signes religieux et il s’agissait de ne pas risquer de braquer une partie de la jeunesse musulmane qui se considère stigmatisée par l’école républicaine.
Depuis, le monde scolaire a ouvert les yeux. La multiplication des travaux de chercheurs, d’articles de presse ou des livres de témoignages d’enseignants a placé la question sur la place publique. Surtout, il y eut le traumatisme des attentats de 2015. Dans certains établissements, les minutes de silences en mémoire des victimes de Charlie Hebdo sont alors perturbées. Après l’assassinat du P. Hamel, en juillet 2016, un professeur de l’Ariège entend un collégien qualifier de « trop stylé » l’acte du criminel !
Culture du dialogue
Le monde scolaire a alors pris conscience que, au-delà des provocations, une partie de la jeunesse avait vraiment décroché du pacte républicain, renoncé au socle des valeurs sur lequel se fonde la recherche du bien commun. « Il y a eu un gros malaise qui a conduit à une prise de conscience des profs et de l’institution »témoigne Isabelle de Macquenem, référente laïcité à l’école supérieur du professorat et de l’éducation (Espe) de Reims.
Visionnaire, l’ancien ministre Vincent Peillon avait lancé le chantier d’un enseignement moral et civique qui entra effectivement dans les programmes en septembre 2015. Les pouvoirs publics renforcèrent la formation des enseignants, des référents laïcité furent nommés dans tous les rectorats, dans chaque établissement…
Mais cette mobilisation n’est qu’un début de réponse. Les derniers chapitres du livre sont consacrés à la nécessité de créer une vraie culture du dialogue avec les élèves pour aller au-delà d’un consensus superficiel et trompeur. Il reste sur ce terrain beaucoup à faire. « L’apprentissage du débat est un exercice fondamental auquel les enseignants sont également assez peu préparés » juge ainsi Corinne Vezirian, référente laïcité de l’Espe de Lille.
Ouvrir l’école
Le système scolaire ne peut pas compter sur lui-même pour venir à bout de ce défi. Il doit s’ouvrir sur le monde associatif, miser sur des professionnels de la culture pour créer des espaces de médiations, libérer la parole. Indispensable pour permettre une réflexion sur des sujets aussi fondamentaux que la liberté d’expression ou l’égalité entre les sexes.
Pour convaincre les familles musulmanes que la laïcité n’est pas contre la religion, les établissements doivent aussi s’ouvrir sur le quartier, comme en témoigne cette directrice d’une école de Marseille.
« Nous travaillons avec une association de médiateurs sociaux qui interviennent aussi bien dans l’école que dans le quartier. Ce n’est pas simple mais c’est une bonne façon d’expliquer aux familles comment les choses se passent à l’école. » Le monde scolaire ne fait plus l’autruche. Il bouge. Encore un effort, l’encourage l’auteur.
Bernard Gorce
(1) Une prière pour l’école de Frédéric Béghin, Plon, 225 p., 16,90 €
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