Le débat sur la circoncision fait rage au Danemark… mais pas seulement

Le 14 juin 2018

Dans les mois à venir, le parlement danois – le Folketing – devra discuter d’une initiative populaire qui vise à fixer à 18 ans l’âge minimum pour la circoncision non médicale de mineurs, dans le pays. La nouvelle est rapportée entre autres par l’Independent et le New York Times. Une pétition en ce sens a en effet obtenu, le 1 juin dernier, les 50.000 signatures nécessaires sur le site officiel du parlement pour les initiatives populaires, borgerforslag.dk obligeant les députés danois à organiser (très probablement après la pause estivale) un débat et un vote sur la proposition de loi lancée par le groupe de pression Intact Denmark.

« Si les personnes veulent se laisser circoncire, elles devraient pouvoir faire ce choix à l’âge adulte. Autrement, on devrait leur permettre de grandir avec leur corps intact », avait déclaré la présidente du mouvement, Lena Nyhus, en janvier dernier. Selon un sondage réalisé par l’institut danois Megafon pour la chaine de télévision TV2, 83% des danois – soit plus de 8 citoyens sur 10 – seraient favorables à l’introduction de l’âge minimum ou mindstealder (en danois).

Moins enthousiaste, le gouvernement danois s’inquiète de l’image que le pays pourrait donner au monde extérieur. Après l’interdiction de la burqa et du niqab, approuvée le 31 mai dernier par le Folketing, une nouvelle interdiction à fort impact religieux risque en effet de soulever des réactions négatives dans le monde musulman – on se souvient des protestations après la publication en septembre 2005 de caricatures de Mahomet dans le quotidien Jyllands-Posten, en Israël mais également aux Etats-Unis où une tranche importante de la population masculine est circoncise (entre 1979-2010 environ 60% de nouveau-nés de sexe masculin étaient circoncis au moment de leur sortie de l’hôpital).

« Du point de vue américain ce serait incompréhensible », a déclaré le ministre des affaires étrangères danois, Anders Samuelsen, cité par le quotidien online Altinget, et « complètement incompréhensible » du point de vue aussi bien juif que musulman. « Ça nous rend vulnérables », estime Anders Samuelsen qui craint la perte d’alliés précieux. Il est rejoint dans ses réticences par le ministre de la défense, Claus Hjort Frederiksen, qui a parlé d’un risque politique « énorme » et mis en garde contre la possibilité d’une « explosion soudaine sur les réseaux sociaux ».

Selon un imam de Copenhague, Waseem Hussain, « certains rituels sont fondamentaux pour l’identité et pour l’appartenance ». Et la circoncision en fait partie, a-t-il confié au l New York Times. Le responsable religieux craint que ce ne soit la porte ouverte à d’autres sujets de discussion comme le droit de porter le voile, de prier, de lire la Bible ou d’aller à la messe le dimanche. « La proposition part du principe que les juifs sont des harceleurs d’enfants », a souligné pour sa part le président de la Société juive au Danemark (Det Jødiske Samfund i Danmark), Dan Rosenberg Asmussen.

« Le scepticisme envers la religion est devenu normal dans la majeure partie du Danemark, et menace maintenant le droit des minorités religieuses d’exister au même titre que leur concitoyens de souche », lit-on sur le site internet de l’organisation, mosaiske.dk. Le site publie une série de « Faits et mythes sur la circoncision ». En revanche, le député musulman d’origine syrienne Naser Khader, du parti populaire conservateur, appuie la proposition, estimant qu’il y a « trop d’emphase sur les droits religieux et culturels des parents ». « Pour moi – dit-il – les droits les  plus importants sont ceux des enfants » (Altinget).

Au plan médical et sanitaire, l’incertitude demeure pour savoir si la circoncision est à éviter ou si elle apporte des bénéfices. Alors que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) tend à souligner les avantages de la circoncision dans la prévention du SIDA, une étude danoise parue dans le magazine The Surgeon révèle que les hommes circoncis ont jusqu’à 26 fois plus de risques de développer une sténose urétrale que les hommes non circoncis. Le Danemark n’est pas le premier pays nordique à débattre de l’éventuelle interdiction de la circoncision non médicale chez ceux qui n’ont pas encore atteint la majorité.

Il y a en effet quelques mois, fin janvier, la députée islandaise Silja Dögg Gunnarsdóttir a lancé une proposition similaire au parlement de Reykjavík (Althing), avec des peines allant jusqu’à six ans de prison pour ceux qui provoquent des dommages au corps et à la santé d’un enfant, garçon ou fille qu’il soit, en lui « enlevant tout ou une partie de ses organes sexuels ». L’intention de la députée était d’étendre aux garçons la loi islandaise qui interdit, depuis 2005, les mutilations génitales féminines, même si les différences entre les deux pratiques sont considérables et substantielles.

La députée avait reçu le soutien de plus de 500 médecins islandais, mais l’initiative a été rejetée par les chefs religieux, dont le président de la commission des épiscopats de l’Union européenne (COMECE), le cardinal Reinhard Marx à l’époque. Dans une déclaration diffusée le 6 février dernier, l’archevêque de Munich et Freising a critiqué la proposition voyant en celle-ci une « dangereuse attaque à la liberté religieuse », ainsi qu’une « stigmatisation » à l’encontre de certaines communautés religieuses qui l’inquiètent « profondément ».

Les représentants des communautés juives du Danemark, de Finlande, de Norvège et de Suède, ont diffusé à leur tour une lettre ouverte pour exprimer leur inquiétude aux membres du parlement islandais. L’Islande, ont-ils averti, « serait le seul pays à interdire un des rites fondamentaux, sinon le plus central, de la tradition juive ». Même ton chez le Grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni : « Si Joseph et Marie avaient vécu en Islande, ils auraient pris six ans de détention pour avoir circoncis leur fils », a-t-il déclaré au SIR (Service Information Religieuse).

Pour éviter le danger, le Forum interreligieux d’Islande a organisé le 17 avril dernier une conférence à Reykjavík. Le porte-parole du Forum, le père Jacob Rolland, a été très clair : cette loi, à leur avis, « met en question les droits humains et la liberté religieuse ». Dans un entretien au SIR, il a supposé une famille juive vivant en Islande qui doit « procéder à la circoncision de son fils avant son huitième jour ». Si la loi passe, cette famille « risque une peine de six ans de prison ». Une peine « très lourde », a-t-il poursuivi, qui « obligerait en effet les familles à sortir du pays ». Et le religieux d’ajouter « cela signifierait qu’en Islande on vit la même situation qu’en 1933, quand Hitler a pris le pouvoir en Allemagne », et qu’il y a « attaque contre les juifs car pour eux la circoncision est une obligation ».

Protestations et pressions ont fonctionné. Fin avril, le parlement de Reykjavík a décidé de mettre de côté la proposition de loi. Reste à voir maintenant ce que décideront les députés danois.

Paul De Maeyer

Source : Aleteia

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