Le rapport annuel sur l’état de l’antisémitisme dans le monde publié par le Centre Kantor pour l’étude du judaïsme européen contemporain de l’Université de Tel-Aviv a été présenté le 11 avril, lors d’une conférence de presse publique, en présence du Dr. Moshe Kantor, Président du Congrès juif européen et du Prof. Dina Porat, Directrice du Centre Kantor, ainsi que des chercheurs du centre et de nombreux représentants des médias israéliens et internationaux. Des conclusions inquiétantes.
« Ni l’espace public ni l’espace privé ne sont perçus comme sûrs par les Juifs », a déclaré le Dr. Moshe Kantor. « Le sentiment général est que l’antisémitisme est entré dans une nouvelle phase et s’est répandu dans la plupart des régions du monde ».
Augmentation dramatique des expressions d’antisémitisme dans la sphère publique
Selon le rapport, la constatation la plus troublante est le sentiment profond d’insécurité ressenti par un nombre grandissant de Juifs en Europe, et l’augmentation globale des expressions d’antisémitisme dans l’ensemble de la sphère publique, en particulier dans les écoles et sur les réseaux sociaux, décrite par les représentants des communautés comme « dramatique » et éclipsant malheureusement la diminution modérée du nombre de cas de violence dirigées contre les Juifs, les communautés et leurs biens (327 contre 361 en 2016, soit une baisse d’environ 9%).
Ce sentiment a été récemment renforcé par le meurtre de deux femmes dans leur domicile à Paris. «La nature des cas de violence antisémite change », note le Prof. Porat. « Il y a davantage de morts et de cas brutaux. La communauté juive de France, pour sa part, se trouve dans une situation très délicate. Le meurtre de Sarah Halimi, par exemple, n’a pas été considéré comme un acte d’antisémitisme », commente-t-elle. D’après le rapport, dans la région parisienne, « il n’y a presque plus de Juifs dans les écoles publiques », en raison du climat d’antisémitisme qui y règne. Une même tendance se fait jour en Belgique. Le Prof. Porat précise que les chiffres du rapport n’incluent pas pour le moment les données sur la violence en France, qui ne seront publiées qu’à la fin du mois d’avril par le SPCJ (Service de protection de la communauté juive).
Manifeste « contre le nouvel antisémitisme ». Ce manifeste, publié le 21 avril par « Le Parisien-Aujourd’hui en France Dimanche » réunit plus de 250 signataires. Parmi eux, un ancien président de la République, trois anciens Premiers ministres, des élus, des intellectuels, des artistes…
« Les Juifs d’Europe sont soumis à une exposition continue à des actes d’antisémitisme », déclare Me Arie Zuckerman, président du conseil d’administration du Centre Kantor. « 60 000 Juifs ont déménagé en France pour cause de manifestations d’antisémitisme. C’est un évènement dramatique pour la communauté juive ». Pour lui, l’Europe souffre d’un phénomène de ‘politiquement correct’ : « si vous touchez à l’antisémitisme en Europe, vous devez toujours élargir vos propos au racisme et à l’islamophobie. Mais 40% des actes racistes sont dirigés contre des Juifs, en France, et dans d’autres pays du continent ».
Extrême-droite, extrême-gauche et islam radical : le triangle de l’antisémitisme contemporain
Les dernières semaines de 2017 et les premiers mois de 2018 se sont caractérisés par un grand nombre d’incidents antisémites à travers le monde, prenant prétexte de la reconnaissance de Jérusalem comme la capitale d’Israël par le président Trump en décembre 2017. Cependant, indique le rapport : « Il convient de noter que ces événements, qui comprenaient des manifestations orageuses accompagnées de slogans anti-juifs et même d’appels au meurtre et d’incendies du drapeau israélien ne trouvaient pas leur source uniquement dans les cercles ou les organisations musulmanes et arabes. Ces manifestations ont eu lieu dans divers pays avec la participation de mouvements de tout le spectre politique ».
« Dans la plupart des pays que nous suivons, le nombre d’incidents violents était inférieur à dix », explique le Prof. Porat, « et cela pour les raisons que nous mentionnions déjà en 2016 : davantage de budgets gouvernementaux en matière de sécurité et de renseignement, moins de ‘signes distinctifs’ identitaires arborés par les juifs dans l’espace public et un détournement de l’attention de la droite vers les réfugiés musulmans. Cependant, notent les chercheurs, l’augmentation des moyens de sécurité n’est pas perçue par les communautés juives comme une évolution positive car elle signifie justement que ces mesures sont nécessaires, et surtout parce qu’elle est éclipsée par les nombreux incidents de violence verbale. Les Juifs sont exposés à des menaces directes, au harcèlement, insultes sur les lieux de travail, dans les écoles, dans les universités, dans leur environnement de résidence, sur les terrains de football, dans les manifestations de rue et surtout sur les réseaux sociaux.
Le renforcement de l’extrême droite dans plusieurs pays européens et aux États-Unis a entraîné une augmentation de l’apparition de slogans et symboles, rappelant aux Juifs les années 30 du siècle dernier, malgré les différences entre les périodes. Mais la montée de l’extrême droite ne peut pas faire oublier celle de l’antisémitisme dans les groupes de gauche, qui soutiennent les attitudes musulmanes radicales et antisionistes, et trouvent leur expression dans des manifestations comme le BDS, l’ANTIFA et au sein du Parti travailliste britannique dirigé par Jeremy Korbin. « L’atmosphère antisémite est devenue un sujet de débat public. Nous faisons face à un triangle qui se compose de la montée de l’extrême droite, du renforcement du discours antisioniste accompagné d’expressions antisémites à gauche et de l’islam radical », note le Prof. Porat qui ajoute que bien que les leaders et gouvernements déclarent leur soutien à Israël et aux communautés juives, avec le temps la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste se transforment en un passé lointain, et l’engagement envers la sécurité des juifs et d’Israël s’affaiblit parmi les jeunes générations.
Une érosion de la vie communautaire
A ces phénomènes vient s’ajouter la volonté des sociétés européennes de réécrire leur histoire : « L’attitude de la Pologne est un signe dramatique pour le reste de l’Europe, et plus encore le réflexe antisémite de l’opinion publique polonaise suite à la réaction du gouvernement israélien », a noté Arie Zuckerman. « De nombreux pays sont intéressés à remodeler leur histoire sans admettre leur responsabilité par rapport aux Juifs ».
Le principal dommage récent causé par l’antisémitisme est une érosion de la vie communautaire car beaucoup et ne veulent pas s’identifier comme Juifs dans l’espace public et s’abstiennent de participer à des rassemblements traditionnels. L’érosion est évidente principalement au sein des écoles juives dont la plupart font face à des problèmes budgétaires et sécuritaires, limitent leurs activités ou ferment. En conséquence, on a pu constater l’émergence d’un nouveau phénomène, le passage vers les écoles catholiques, où les frais de scolarité sont plus bas, et où il n’y a pas d’élèves musulmans.
Les expressions et manifestations de l’antisémitisme classique réapparaissent progressivement, et contredisent les efforts de l’Église catholique pour condamner l’antisémitisme. La tendance est également évidente au sein de l’islam radical. On voit réapparaitre le terme « Juif » et ses dérivés dans diverses langues dans un sens péjoratif : FEUJ, JUIF, JUDE, ZID, Yehud (en arabe).
Des déclarations à la réalité
Après les événements de Charlottesville en Virginie en août, sont venues les élections allemandes en septembre et celles d’Autriche en novembre, ajoutant à l’inquiétude, bien que les mouvements et les partis d’extrême droite d’Europe s’efforcent de se démarquer de leur image néo-nazie, et soulignent leur attitude positive envers Israël et leur engagement à combattre l’antisémitisme. Leurs dirigeants font même des déclarations dans cet esprit. Cependant, pour le moment, il semble que les déclarations soient une chose et la réalité sur le terrain une autre, et l’antisémitisme reste un élément central chez leurs électeurs. Une partie de l’attitude positive envers Israël et les Juifs découle de la volonté de former avec eux une coalition contre les réfugiés, généralement des musulmans soupçonnés d’élever la barre du crime. Mais la plupart des musulmans d’Europe sont des modérés, qui pourraient peut-être au contraire constituer des partenaires des communautés juives et d’Israël contre l’islamisme d’une part et les tendances à limiter la liberté du culte religieux de l’autre.
Cependant, et malgré ce qui précède, le rapport note des évolutions positives : le développement d’outils identifiant l’antisémitisme sur Internet et la mise en place d’un système de suivi en plusieurs langues; le renforcement de la législation restrictive dans l’espace virtuel et l’imposition de lourdes amendes aux contrevenants; la continuation de l’élaboration d’une définition de travail de l’antisémitisme; les déclarations d’encouragement des dirigeants, l’augmentation des restrictions légales et financières sur le mouvement BDS sur la base de l’égalité des chances commerciales et de la législation contre la discrimination.
Proposition des chercheurs : « les trois C » : coopération étroite entre les communautés juives et les nombreuses organisations qui suivent l’antisémitisme, voire même la création d’une organisation faîtière pour les regrouper ; l’établissement de coalitions avec d’autres minorités et groupes discriminés ; et enfin, le combat contre l’antisémitisme, qui deviendra possible lorsque les deux premiers objectifs seront atteints.
Source : Les amis français de l’université de Tel-Aviv
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Mise à jour du 25 avril 2018 : Une trentaine d’imams signent une tribune contre l’antisémitisme et le terrorisme
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