Entretien avec Sophie Cluzel, présidente de la Fédération Nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph).
La Croix : Les enfants semblent parfois mal à l’aise devant une personne en situation de handicap. Comment leur parler de la différence ?
Sophie Cluzel : Je pense que les enfants ne sont pas mal à l’aise devant une personne handicapée. Ils sont surtout curieux et posent des questions qui mettent les adultes mal à l’aise. Ces questions, il importe d’y répondre simplement, en essayant de trouver les bons mots. Trouver les bons mots, c’est commencer par dire qu’il s’agit d’une personne et pas d’un handicapé. Il est essentiel de ne pas résumer un individu à son handicap.
Si celui-ci est sur un fauteuil roulant, on peut expliquer aux enfants qu’il a eu un problème physique ; s’il présente une déficience intellectuelle ou un trouble du comportement, que quelque chose ne s’est pas bien développé dans sa tête et qu’il n’arrive pas à exprimer ses émotions avec des mots, un peu comme eux, lorsqu’ils étaient petits. Il faut leur dire que cette personne est différente, mais qu’elle reste une personne « capable ». C’est une notion très importante dans l’imaginaire des enfants car eux aussi ils se sentent « capables » de faire des choses.
Il faut également éviter le misérabilisme…
Sophie Cluzel : Oui, c’est un écueil fréquent. Devant une personne handicapée, on est tentés de dire « le pauvre », il faut le protéger. Il est vrai qu’une personne en situation de handicap peut avoir besoin d’aide, mais il faut surtout être bienveillant et protecteur comme le serait un grand frère ou une grande sœur, avec les règles que l’on appliquerait pour tout un chacun. Certains auront aussi tendance à tolérer tout et n’importe quoi de la part d’une personne handicapée, a fortiori s’il s’agit d’un enfant. Mais, là aussi, c’est une erreur. Il n’y a pas de raison de tolérer qu’un enfant détruise systématiquement la tour en Lego d’un autre, par exemple, au prétexte qu’il est différent. Bien souvent on voit le handicap et pas la personnalité de l’enfant.
Certains élèves découvrent le handicap à l’école à travers la situation d’un petit camarade de classe. Comment ces enfants sont-ils accueillis ?
Sophie Cluzel : Cela varie beaucoup d’une école à l’autre, selon la manière dont le personnel a préparé et annoncé l’arrivé de l’enfant, en expliquant qui il est et pourquoi il va avoir le droit à un traitement différent. Plus on explique la situation, plus les enfants comprennent et plus on peut s’appuyer sur le groupe pour porter le projet d’un enfant handicapé à l’école. Lorsqu’on met des mots simples sur la différence et l’impact qu’elle peut avoir sur la relation, il devient possible de parler sereinement du handicap.
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Qu’apporte la présence d’enfants handicapés aux autres enfants de la classe ?
Sophie Cluzel : Un enfant handicapé apporte la même chose qu’un autre enfant avec ses différences. C’est une différence parmi d’autres dans un groupe hétérogène où chacun a sa personnalité. Si cette différence est encore perçue comme particulière, c’est aussi parce qu’historiquement, ces enfants n’allaient pas à l’école. Ils étaient accueillis dans des établissements spécialisés.
C’est contre cet isolement que nous nous sommes battus pour que la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances, permette de scolariser les enfants handicapés dans les écoles de quartier. Il faut que ces enfants aillent avec le flux des autres élèves à l’école ou dans le centre de loisirs et qu’ils se construisent comme des citoyens de leur commune, qu’ils fassent partie du paysage. Grâce à cette loi, on ne se demande plus s’il faut scolariser les enfants handicapés, mais comment le faire au mieux. Même si cela reste marginal avec seulement 2 % des enfants accueillis.
Comment réagissent les parents ?
Sophie Cluzel : C’est plus compliqué avec les parents qu’avec les enfants. Le regard des adultes sur le handicap est encore perturbé et ne facilite pas l’intégration de l’enfant handicapé dans la cité. Il va falloir une génération complète pour que les mentalités changent. Les parents craignent souvent que la maitresse ne s’occupe plus assez de leurs enfants et que leurs résultats scolaires baissent.
On peut comprendre ces inquiétudes car l’arrivée d’un enfant handicapé dans une classe demande des adaptations. Mais celles-ci peuvent aussi profiter aux autres enfants grâce à la mise en place d’une pédagogie différenciée, d’une reformulation des consignes et d’une responsabilisation des élèves. Lorsqu’ils se rendent compte de ces bénéfices, les parents voient les choses différemment. Il faut donc parler des expériences réussies devant les conseils d’école ou de classe afin que l’intégration d’un enfant handicapé fasse partie des projets des établissements.
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