Un océan de fleurs et de bougies s’étale sur le trottoir en face du Bataclan. En ce dimanche après-midi, les passants se succèdent pour rendre hommage aux victimes des attentats du 13 novembre. Parmi la foule, quatre personnes arborent le même T-shirt noir, dont les inscriptions blanches sautent aux yeux : « Pray for Paris ». Un homme et une femme de ce groupe engagent une discussion avec une famille venue se recueillir : « Nous prions pour vous », leur disent-ils.
Dans les jours qui ont suivi les attentats, le slogan « Pray for Paris » s’est imposé comme réponse à l’horreur. Devant cette diffusion providentielle, le pasteur évangélique américain Billy Graham a eu l’idée de susciter une présence chrétienne sur les lieux. Ce dernier n’est pas n’importe quel pasteur. Il s’agit du prédicateur le plus connu aux États-Unis, sinon dans le monde entier, pour ses missions d’évangélisation. Âgé aujourd’hui de 97 ans, il s’est souvenu que son ministère l’avait plusieurs fois conduit à Paris. « La famille Graham a été personnellement touchée par les événements, et a demandé l’intervention immédiate d’une équipe », explique Laurent, Français établi au Canada, et cadre de la Billy Graham Evangelistic Association (BGEA). Organisation missionnaire fondée par le pasteur, la BGEA envoie notamment des pasteurs et des volontaires, spécialisés dans l’accompagnement spirituel, sur les lieux touchés par les tragédies, du World Trade Center aux tsunamis asiatiques. Ray, ancien pompier, est ainsi venu de Californie avec sa femme – « notre première visite en France ». Le couple fut présent à Newton, dans le Connecticut, où un tireur a abattu vingt enfants dans une école primaire, en décembre 2012 : « Les fusillades sont les drames les plus durs à gérer », témoigne Ray.
Un œcuménisme de terrain
L’équipe se garde bien de tirer la couverture à elle, ou même d’être visible. La discrétion médiatique est de mise. Surtout, la BGEA a demandé l’aide des communautés évangéliques locales, et de l’Église catholique. Le groupe œcuménique Leaders Chrétiens a répondu présent, en contactant les différents responsables d’Eglises, en organisant un planning de rencontres et d’envoi de volontaires, et en commandant des T-shirt avec le logo « Pray for Paris ».
Aux envoyés de la BGEA se sont donc greffés des volontaires évangéliques et catholiques. Patricia, membre de la communauté catholique Ain Karem, fait équipe devant Le Bataclan avec Yoland, fidèle de l’Église évangélique Foi, Espérance et Amour, située rue des Vinaigriers (Xe arrdt), à deux pas du canal Saint-Martin. « C’est important pour moi que des catholiques partagent cette mission avec des frères chrétiens qui croient comme nous en Jésus Christ Sauveur », dit Patricia. Christelle, jeune commerciale d’origine congolaise, fréquentant une Église pentecôtiste, renchérit : « Lorsqu’un islamiste s’en prend à un chrétien, il ne lui demande pas s’il est catholique ou protestant ! Si les djihadistes ne voient qu’une seule foi, il faut que les chrétiens fassent de même ! »
La mission « Pray for Paris » a été hébergée dans les locaux de la paroisse Sainte-Élisabeth de Hongrie (IIIe arrdt), proche de la place de la République. Tous les jours, pendant deux semaines, des équipes de volontaires se sont relayées sur les lieux des attentats. Beaucoup viennent de la communauté catholique Anuncio, rompue aux missions de rue, et de l’Église évangélique Foi, Espérance et Amour, dont le pasteur, Mark Ost, est un miraculé : il avait garé sa voiture devant le restaurant Le Petit Cambodge dix minutes avant le passage des terroristes. C’est lui qui prononce la prière d’envoi des volontaires, ce dimanche soir : « Nous Te demandons le discernement, Seigneur, et la consolation, pour le peuple français, qui “porte la bannière de la Croix” », dit-il, en faisant référence à la revendication vengeresse de l’État islamique.
Une présence de compassion
Les participants ne sont pas lâchés dans la nature sans préparation. L’équipe de la BGEA forme les volontaires, en insistant bien sur le fait qu’il s’agit davantage d’une « mission de présence et de compassion » que d’une évangélisation directe. Ils rappellent ce qu’il ne faut pas dire dans ces situations : « Ne dites pas “Je comprends”, on ne peut pas se mettre à la place des personnes. Demandez plutôt où les gens habitent, s’ils connaissaient quelqu’un. Ne forcez personne à vous parler, et laissez l’Esprit Saint agir », explique un Américain avec un fort accent.
Les volontaires, munis de leur T-shirt « Pray for Paris », se dispersent ensuite sur les lieux des attentats : Le Bataclan, le restaurant Le Petit Cambodge, la rue de Charonne. « L’ambiance est pesante, mais personne, je dis bien personne, n’a refusé le contact », affirme une volontaire catholique, qui participe depuis le début à la mission : « Parfois, juste un regard suffit ». Elle témoigne notamment d’avoir prié pour un jeune policier, traumatisé par ce qu’il avait vécu. Une autre volontaire raconte avoir rencontré une femme, sortie du Petit Cambodge cinq minutes avant la fusillade : « Elle qui était athée se demande à présent si Dieu existe ». Patricia évoque aussi cette femme d’un certain âge, la remerciant pour sa présence devant Le Bataclan, et lui confiant : « Depuis les attentats, je voudrais prier, mais j’ai oublié le Notre Père de mon enfance ».
Entre le Petit Cambodge et Le Carillon, les deux restaurants mitraillés par les terroristes rue Bichat, les habitants du quartier laissent éclater leurs sanglots. La souffrance est palpable. Une jeune femme, travaillant au cabinet d’un adjoint de la maire de Paris, Anne Hidalgo, discute avec émotion avec un des volontaires. « Merci pour votre présence. Vous êtes les veilleurs, les anges gardiens de ceux qui sont morts, et de ceux qui se recueillent ici. »
« PrayForParis », le mot-clé qui dérange
Depuis l’attentat au Bataclan, le hashtag #PrayForParis se propage sur les réseaux sociaux, mais n’est pas au goût de tout le monde.
Le 13 novembre, 22 h 03, quelques minutes après la tuerie parisienne du Bataclan. Le mot-clé #PrayForParis devient « tendance émergeante » des réseaux sociaux, diffusé par quelques particuliers. Les personnalités prennent le relais, du chanteur canadien Justin Bieber au club de football Real Madrid. Plus de 6 millions d’utilisateurs le diffusent en deux jours, plus que #JeSuisCharlie lors des attentats de janvier. Le site Hozana propose dans la foulée une intention de prière, très relayée, pour les victimes. Mais le slogan ne plaît pas à tous. « Il y a un hashtag qui me colle des boutons », écrit Luc Le Vaillant (Libération, 17 novembre), dans un article intitulé « C’est gentil, mais ne vous sentez pas obligés de prier pour Paris ». Il recommande de boire et manger aux terrasses, et de préférer le mot-clé #ParisEstUneFête. Peut-être pense-t-il que lutter avec des bières va régler le problème de l’islamisme ? La réponse ne se fait pas attendre. Madeleine de Jessey, porte-parole de Sens Commun, riposte avec un texte inspiré, « Donnez-leur un idéal ! » (FigaroVox, 17 novembre). Le 19 novembre, la lettre d’une jeune bloggeuse catholique génère un trafic exceptionnel sur le site Aleteia. Amicie y explique que le hashtag #PrayForParis « prouve le besoin de spiritualité des hommes, ce désir qu’ils ont de s’élever bien plus haut que notre basse terre. […] Occupez-vous de votre foie, laissez-moi gérer ma foi », s’indigne-t-elle. Empêcher les gens de prier librement, quelle drôle d’idée. Devrait-on renoncer à la Source de vie parce que certains tuent ?
O. de Fournas
Source : Famille chrétienne