Quand les voyants coachent les chefs d’État et le gotha

Le 30 juillet 2015

Pour prendre le pouls des dernières tendances, rien ne vaut Instagram. Le hashtag du moment, ce n’est plus le #WokeUpLikeThis des modèles au teint immaculé et filtré dès le réveil, mais #MercuryRetrograde. Un transit planétaire régulier qui, astrologiquement, signifie une période néfaste pour les gros achats, les signatures de contrats et les écrans fragiles des smartphones.

Une épée de Damoclès ésotérique qui inquiète, durant ce transit mercurien, beaucoup de monde parmi les gens de la mode et du luxe, les hipsters, les actrices, etc. qui doivent ce savoir zodiacal à leur gourou, Susan Miller. Chaque mois, l’astrologue publie un horoscope aussi long qu’un tome de Cinquante Nuances de gris sur son site,AstrologyZone, des prévisions qu’elle décline aussi pour les magazines fashion internationaux.

« Notre approche est plus celle d’un coach de vie »
Parmi ses 6,5 millions de visiteurs mensuels, on compte Cameron Diaz, Jeremy Scott, Tavi Gevinson, les sœurs Olsen, Lindsay Lohan, la fashion sphère et le gotha de New York. Ce qui plaît chez cette astrologue au look de première dame ? Sa capacité à rendre pragmatique l’astrologie dans la vie quotidienne : lancer son business ou pas, se méfier d’une colocation, changer de look, d’appartement…

« L’astrologie, ce n’est pas de la médiumnité. Notre approche ressemble plus à celle d’un coach de vie qu’à celle d’une voyante », a déclaré Susan Miller au site tech américain The Verge. Mais la dévotion récente pour la New-Yorkaise n’est qu’une facette de cet engouement récent à réintroduire les arts divinatoires dans notre société. Solliciter un voyant-coach dès qu’une décision importante est à prendre, ou pour développer son « potentiel », devient un réflexe acceptable, et même terriblement tendance.

En 2013, un article du New York Times racontait combien il était devenu normal pour les habitants de la Grosse Pomme de ne pas signer un contrat ou de conclure une transaction immobilière sans l’aval du tarot de Marseille. The Hollywood Reporter nous apprenait aussi que, de New York à Los Angeles, la clientèle des médiums se compose à 70 % de magnats, de producteurs, de cadres, de banquiers, pour lesquels les décisions rationnelles comportent finalement un facteur chance… qui leur échappe.

En France
Pour une fois, nous ne sommes pas très en retard. Dans l’Hexagone, le marché de la voyance explose : 3 milliards d’euros, plus de 100.000 voyants exerçant et un nombre de consultations par an qui est passé de 8 à 15 millions entre 1994 et 2011.

Les soirées tarots cartonnent dans les bars branchés
Soirées tarotsÀ Paris, les soirées tarots cartonnent dans les bars branchés. Pour le sociologue Serge Dufoulon, spécialiste de la question (1), le climat anxiogène actuel a boosté notre intérêt pour la voyance : « Les pratiques ésotériques ont toujours existé à la périphérie des sociétés. Mais depuis la désertion relative des lieux de culte, on les voit davantage. Beaucoup d’entre nous ont besoin de mettre des mots sur des problèmes, et quand ce n’est pas le psy, ce sont les voyants qui s’en chargent. Ils donnent un sens au malheur des gens et reconstruisent la dramaturgie de leur destin, en la rejouant devant eux, avec une fin heureuse qui redonne de l’espoir. »

Médium largement médiatisée grâce à un don réputé exceptionnel et un carnet d’adresses VIP, Isabelle Viant (2) a, depuis la crise de 2008, diversifié son activité en proposant du coaching émotionnel, pour lequel elle a obtenu un diplôme. Avocats, cadres sup’, stars et personnalités politiques se pressent chez cette femme au regard perçant. « Pendant la consultation, si je vois que la personne engluée dans les mêmes schémas est apte à franchir un pas, je lui propose un coaching avec des objectifs précis. »

« Les gens veulent du résultat »
« Le fait d’être médium permet de sentir dans quel sens on peut améliorer la vie de la personne », estime-t-elle. Quant à Soraya Dulorme, médium et cartomancienne, elle offre du coaching plus spirituel, fondé sur l’aura et le passé karmique du client : « Je vais analyser forces et faiblesses, et dire quels sont les moments propices pour monter une affaire, déménager, quels sont les domaines de la personnalité à travailler. Si c’est nécessaire, je redirige mes clients vers des médecins, des psys, des homéopathes. »

Le voyant peut-il pour autant tenir le rôle d’un thérapeute classique, ou profite-t-il d’un business en vogue ? Serge Dufoulon pointe une ambiguïté : « Beaucoup fonctionnent désormais comme des entreprises. Ils vont commencer par une lecture du passé, du présent et de l’avenir, puis diversifier leurs activités avec de la numérologie, du coaching… Ils se forment souvent à partir de livres. De leur intuition simple, ils font une profession avec diversification des produits. » Ainsi Lana Del Rey a-t-elle déclaré en interview avoir surmonté un coup de blues à grand renfort de séances de voyance.

« C’est vrai qu’il y a un marché, soulève Isabelle Viant. Les gens aiment bien que tout aille vite, ils veulent du résultat. » Pour Cyrielle, actrice de 32 ans qui a fait du coaching émotionnel avec Isabelle après une rupture amoureuse délicate, ça ne fait aucun doute : la médium a été plus efficace qu’un psy. « Elle a su sonder en moi ce qui me correspondait pour me sortir de cette épreuve de la vie et m’a aidée en un temps record. Et surtout, avec son don hallucinant, j’avais le sentiment d’être profondément comprise. Pour moi, c’est une démarche saine, complémentaire à un suivi psy. J’appelle cela de la « psychothérapie ésotérique ». »

« Un domaine à la croisée des sciences et de la psychologie »
Une bonne dose d’intuition suffit-elle vraiment à panser les blessures psychologiques ? « Je ne sais pas si les voyants sont dangereux, reprend Serge Dufoulon. Le potentiel du voyant repose sur l’empathie, l’écoute et une lecture fine de l’être humain qui permet de donner des bons conseils. » Malgré la vitrine 5-étoiles bâtie notamment à l’aide de célébrités qui ont recours à l’astrothérapie, comme Eva Longoria et Gwyneth Paltrow, et qui démocratisent la pratique, le tabou persiste : « Consulter un voyant reste en France de l’ordre de l’intime. Dans les entreprises, c’est vrai que de plus en plus de patrons ont tendance à recruter à partir de thèmes numérologiques, astraux, mais ils n’osent pas l’avouer », remarque le sociologue.

Pourtant, et parce que l’astrologie et les prédictions ne sont plus « un truc de bonne femme » mais un domaine à la croisée des sciences et de la psychologie, ce sont les gens diplômés, avec des jobs à haute responsabilité, qui consultent le plus et cherchent à être coachés. On se souvient que les anciens présidents Ronald Reagan et François Mitterrand avaient leur astrologue attitré pour les conseiller dans leurs décisions.

MediumSi on remet les clés de son destin à ces guides spirituels, c’est aussi parce qu’ils savent mieux que personne nous parler en nous plaçant au plus profond de ce qui paraît être un déterminisme fascinant et unique : notre place dans le cosmos. Une conséquence de la postmodernité qu’avait très bien analysée Edgar Morin, évoquant une « astrologie d’élite » : « Elle répond aux aspirations les plus profondes de l’individu moderne : la quête d’identité et la quête de sens. Le thème astral, à l’inverse de l’horoscope de masse, concerne l’individu dans sa singularité et répond à ses deux incertitudes fondamentales : qui suis-je ? Quel va être mon destin ? »

« Un bon médium refuse les accros aux prédictions »
Y a-t-il un risque de créer de véritables assistés ? « J’ai vu des chefs d’entreprise incapables de se déplacer sans leur numérologue », s’inquiète Serge Dufoulon. Devenir addict aux voyants, c’est ce qui est arrivé à Sarah Lassez. La jeune femme l’a décrit dans sa biographie (3) : actrice débutante, abonnée aux histoires sans lendemain, elle avait un besoin constant d’être arssurée, besoin qu’elle satisfaisait en appelant parfois dix voyants par jour jusqu’à ce qu’on lui prédise un destin prometteur.

Une addiction qui lui coûtait plus cher que son loyer et pour laquelle elle s’est soignée. « Quand vous tombez sur un bon médium et que ses prédictions se réalisent, après, vous êtes tenté de l’appeler dès qu’un élément perturbateur – même positif – survient dans votre vie pour savoir comment réagir », avoue Lucie, directrice d’une agence de pub, qui se limite désormais à une consultation annuelle, comme un check-up médical.

« Un bon médium refuse les accros aux prédictions, assure Isabelle Viant. À ceux qui ont fait le tour des voyants pour entendre ce qu’ils ont envie d’entendre, je fais comprendre qu’ils doivent surtout soigner leur névrose. De la même façon, si je me trompe dans mes visions, j’arrête et je rembourse le consultant. » La numérologue Évelyne Lehnoff (4) ajoute : « En étant disponible le jour et la nuit, nous sommes un peu les SOS Amitié, SOS Suicide de personnes qui ont besoin d’être rassurées et de trouver des solutions. Attention, on ne remplace pas un médecin compétent : si la personne a besoin d’un suivi médicamenteux et psychiatrique, il faut impérativement la réorienter vers un spécialiste. »

(1) Femmes de paroles. Une ethnologiede la voyance, de Serge Dufoulon, éd. Métailié, 308 p., 19 €.
(2) Luxe Eterna, la voyante des stars, d’Isabelle Viant, éd. Fortuna (à paraître à l’automne).
(3) Psychic Junkie. A Memoir, de Sarah Lassez, Gallery Booksk, 336 p., 12,24 €.
(4) Êtes-vous faits l’un pour l’autre ? Pour être sûr d’être heureux, d’Évelyne Lehnoff, éd. Bussière (à paraître en juillet).

À lire aussi : Comment ils sont devenus adeptes de la numérologie

Source : Le Figaro Madame

Ndlr : Voyance = danger ?

Conférence à écouter : « Médiums, astrologues, guérisseurs »

Livre à lire :

Livre mediums-astrologues-guerisseurs

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