500 ans de la Réforme : les grands principes – Partie I : Sola Fide

Le 10 janvier 2014

Luther est un personnage « hors norme ». Angoissé, parfois « outrancier » dans ses propos (pour ne pas dire grossier), c’est avant tout un homme passionné de vérité, refusant toute « concession » sur la parole de Dieu. Deux anecdotes décrivent bien le personnage : à la diète de Worms, où ses interlocuteurs lui demandent de se rétracter, il répond : « je ne le peux car ma conscience est liée par la Parole de Dieu ». Puis, ayant reçu sa bulle d’excommunication par le pape, il déchirera celle-ci au feu devant une foule admirative et médusée. Mais il convient de préciser que Luther ne voulait pas faire sécession d’avec l’Eglise. Il voulait surtout la réformer de l’intérieur : cette séparation lui a été imposée malgré lui, avec l’aide des Princes allemands, dont on ne peut négliger le « rôle » dans cette affaire.

Saint Augustin défendra par avance des thèses très proches du protestantisme

Il convient de préciser également que Luther était un moine augustinien. Comme Calvin, il avait un profond respect pour l’œuvre de St Augustin, le plus grand théologien de l’Eglise catholique avec St Thomas d’Aquin. Or, dans sa lutte contre le moine Pelage, qui minimisait la corruption de la nature et le rôle de la Grâce, Augustin défendra par avance des thèses très proches du protestantisme, au point que certains protestants n’ont pas tort de voir dans St Augustin un « catholique » devenu « protestant » (malgré l’anachronisme !) à la fin de sa vie. St Augustin est d’ailleurs, et de très loin, l’auteur le plus cité dans L’institution de la Religion Chrétienne de Calvin, ce dernier ayant surtout le souci de montrer que la foi protestante est en fait plus « ancienne » que la foi catholique, qui est le produit d’une élaboration théologique au cours des siècles (Il est vrai que St Augustin a beaucoup évolué, et que les positions qu’il adoptait auparavant dans sa lutte contre le manichéisme sont pleinement catholiques. En outre, son « ecclésiologie » et sa « théologie sacramentelle » restent typiquement « catholiques »).

On raconte que Luther, dans sa vie de moine, retombait toujours dans les mêmes péchés. Aussi finissait-il par désespérer de son salut, ne parvenant pas à se conformer aux exigences de la vie chrétienne, se sentant abandonné de Dieu. Et puis un jour, en lisant l’Epître aux Romains de St Paul, provient l’illumination qui changea sa vie et lui ouvrît les portes du ciel.

«  Si Abraham avait été justifié par les œuvres, il a de quoi s’enorgueillir, mais non devant Dieu ! En effet, que dit l’Ecriture ? Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme justice. Or, à celui qui accomplit des œuvres, le salaire n’est pas compté comme une grâce, mais comme un dû. Par contre, à celui qui n’accomplit pas d’œuvres, mais croit en celui qui justifie l’impie, sa foi est comptée comme justice »
Romains, 4, 1-8

La justice de la foi opposée à la justice des oeuvres

Luther comprend alors que ce n’est pas l’homme qui, par ses œuvres, peut se rendre juste devant Dieu, mais que c’est Dieu lui-même (doctrine de la justice passive) qui rend l’homme juste moyennant la foi en l’œuvre du Christ accomplie pour nous sur la croix, pour l’expiation de nos péchés. C’est la justice de la foi, que Luther oppose à la « justice des œuvres » (de la loi). Deux autres passages de Paul sont tout aussi décisifs :

« A cause du Christ, j’ai tout perdu et je considère cela comme ordures afin de gagner Christ et d’être trouvé en lui, non plus certes avec ma justice à moi, qui vient de la Loi, mais avec celle qui vient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi »
Philippiens 3, 7-9

« C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, car c’est un don de Dieu. Cela ne vient pas non plus des œuvres, afin que nul ne puisse se glorifier devant Dieu ».
Ephésiens, 2, 4-9

C’est donc Dieu qui va venir au secours de l’homme, et c’est lui qui va accomplir une œuvre « salvatrice » pour nous

On voit ce qui fait l’originalité du christianisme : toutes les religions prônent un salut par les œuvres. Il s’agit, pour être sauvé, de « faire des œuvres » pour se rendre agréable à Dieu. Le christianisme inverse cette logique : le péché a, en effet, creusé un abîme insurmontable entre l’homme et Dieu. Du coup, l’homme n’a pas le pouvoir de franchir cet abîme, seul Dieu peut le faire. C’est donc Dieu qui va venir au secours de l’homme, et c’est lui qui va accomplir une œuvre « salvatrice » pour nous (c’est l’œuvre de Jésus accomplie sur la croix). La seule chose que Dieu nous demande, c’est juste d’accepter cette œuvre, de croire en l’œuvre rédemptrice de Jésus qui se substitue à nous sur la croix pour l’expiation de nos péchés, ce qui nous permet d’être réconcilié avec Dieu, d’échapper à sa « colère », et d’entrer dans une relation nouvelle avec lui, relation filiale puisque Dieu est désormais, pour ceux qui croient en Jésus, un « Père »…

Attention néanmoins à ne pas commettre de confusion : si l’homme n’est pas sauvé PAR ses œuvres, la foi vivante (« animée par la charité », dit Galates 5, 6) n’est pas non plus SANS les œuvres, ces « bonnes œuvres que Dieu a préparées pour nous d’avance, afin que nous les pratiquions » (Ephésiens 2, 9). Les œuvres ne sont donc pas la cause du salut (on est sauvé par la foi seule, SOLA FIDE), mais elles sont le « signe » par lequel on reconnaît l’homme justifié, ce qui permet d’accorder Jacques et Paul, Jacques insistant particulièrement, dans son épître (cf. Jacques 2, 14-26) sur l’idée que la vraie foi, distinguée de cette pseudo-foi qu’est la « foi des démons », se reconnaît à ses fruits, aux « œuvres » qui en sont comme la manifestation (ce sont les « œuvres de la foi », qu’il ne faut pas confondre avec les « œuvres de la loi », seules les secondes étant dénoncées par Paul).

Loin de vouloir abolir les œuvres, Luther a au contraire toujours souligné que les œuvres étaient le témoignage d’une foi vivante

A ce titre, il faut rectifier les interprétations erronées que les détracteurs catholiques de Luther ont fait de sa pensée, en s’appuyant sur l’affirmation de celui-ci selon laquelle l’Épitre de Jacques (qui insiste sur les œuvres comme étant le signe d’une foi authentique) serait une « épître de paille ». Loin de vouloir abolir les œuvres, Luther a au contraire toujours souligné que les œuvres étaient le témoignage d’une foi vivante, et il a surtout insisté sur le fait que c’est la foi qui est le « capitaine des oeuvres », au sens où ce ne sont pas ses œuvres qui rendent l’homme agréable à Dieu, mais c’est la foi qui les anime qui rendent ses œuvres bonnes aux yeux de Dieu. C’est là l’interprétation luthérienne de la parole du Christ selon laquelle on reconnaît l’arbre à ses fruits : ce ne sont pas ses fruits qui rendent l’arbre bon, mais c’est parce que l’arbre est bon que les fruits, qui en sont le signe, seront bons, tandis que le mauvais arbre (l’arbre non régénéré) se reconnaît à ce qu’il ne porte pas de bons fruits. Quoiqu’il en soit, on ne fait donc pas des œuvres pour être sauvé, c’est-à-dire par « calcul » et « intérêt », mais par pure action de grâce, parce que l’on est sauvé, étant entendu que Dieu nous accepte et nous justifie par pure grâce, gratuitement, sur le fondement de la « foi seule » (d’où l’idée que la justice du Christ nous est « imputée » de l’extérieur, moyennant la foi en lui). Mais cette justice qui nous est imputée de l’extérieur, sur le fondement de la foi seule, est néanmoins inséparable d’une régénération, « puisque Dieu a versé son amour dans nos cœurs par l’Esprit Saint qu’il nous a donné » (Romains 5, 5).

D’où la nécessité de corriger une autre erreur d’interprétation faite par le concile de Trente : s’appuyant sur une image maladroite utilisée par Luther pour montrer le caractère forensique de la justification, selon laquelle la justice du Christ viendrait nous revêtir comme d’un manteau tout en nous laissant intérieurement dans notre nudité de pécheurs, les catholiques en ont tiré la conclusion que la justification par la foi ne s’accompagnait d’aucune régénération intérieure. Et c’est souvent ainsi qu’a été compris le fameux « simul justus, simul peccator » (à la fois juste et pécheur) de Luther, comme si l’homme était déclaré juste par Dieu sur le fondement de la foi seule, tout en continuant d’être pécheur, ce qui contredirait alors ce que dit Paul en Romains 6, 15-18. Pourtant, là encore, Luther n’a jamais nié que la justification par la foi n’entraîne une régénération intérieure du cœur de l’homme (c’est la purification du cœur par la foi, ce que Paul appelle la circoncision du cœur, et qui est pour lui la véritable circoncision). Et le « simul justus, simul peccator » signifie bien plutôt, chez lui, que la régénération, qui fait de l’homme un « homme nouveau », n’abolit pas le vieil homme, un vieil homme avec lequel l’homme nouveau doit désormais entrer en lutte permanente, afin de le vaincre, même s’il n’est pas à l’abri de défaites. Mais ces défaites, dont il doit se repentir, ne remettent pas en cause la victoire qui lui a été obtenue sur la croix par le Christ, en tant qu’il a déjà pris sur lui tous ses péchés sur le fondement de la foi seule. C’est là le premier grand principe de la réforme, SOLA FIDE.

Charles-Eric de Saint Germain

Source : Info Chrétienne

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