L’histoire des évangéliques en Alsace

Un développement en ordre dispersé

Par Christopher Sinclair, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021

C’est lors de la Réforme protestante du 16è siècle qu’apparaissent, sous le nom d’assemblées anabaptistes puis mennonites, les premières Églises évangéliques (appelées aussi « Églises libres », c’est-à-dire séparées de l’Etat). La région rhénane, dont Strasbourg et l’Alsace, devient rapidement l’un des foyers actifs de l’anabaptisme européen.

Au cours des siècles suivants, suite à des réveils spirituels ou des implantations missionnaires venues de l’extérieur, plusieurs autres mouvements d’Églises évangéliques s’établissent dans cette moitié nord de l’Alsace qui devient  le département du Bas-Rhin en 1790. On peut citer des Églises de type piétiste, méthodiste, baptiste, pentecôtiste, charismatique,  ou des mouvements caritatifs et sociaux (appelés « œuvres ») comme l’Armée du Salut et bien d’autres.

Le protestantisme évangélique est un mouvement dynamique et diversifié, fort de nombreuses familles d’églises et d’œuvres pour l’évangélisation ou l’action sociale. Mais au cours des siècles, dans le Bas-Rhin comme ailleurs, il a eu tendance à agir en ordre dispersé, affirmant certes une unité spirituelle (la référence à l’Évangile et à la Bible, la prédication de la conversion personnelle à Jésus-Christ,…), mais négligeant souvent l’unité visible et la coopération concrète entre ses diverses composantes.

 

Vers davantage d’unité visible

Les choses ont commencé à changer au 19è siècle, avec en 1846 la fondation de l’Alliance Évangélique Universelle, destinée à rapprocher tous les chrétiens de conviction évangélique, quelles que soient leurs familles d’églises. Dans le Bas-Rhin, et plus particulièrement à Strasbourg, le comité local de l’Alliance Évangélique (d’abord allemande, puis française après 1919), formé de responsables et membres d’Églises convaincus, a réussi à promouvoir un esprit d’unité, notamment par la Semaine Universelle de Prière, permettant encore aujourd’hui à des chrétiens de différentes Églises de se réunir pour prier Dieu ensemble, chaque année début janvier.

Eglise méthodiste de SionSignalons que l’Alliance ne se contentait pas de rapprocher entre eux des chrétiens évangéliques appartenant aux Églises dites « libres » (car séparées de l’État), elle permettait aussi à ces derniers de rencontrer des chrétiens de sensibilité évangélique appartenant aux Églises protestantes luthéro-réformées dites « concordataires » ou « officielles ».

Durant la seconde guerre mondiale, sous l’occupation nazie, de nombreux lieux de culte évangéliques d’Alsace furent fermés. Les temples méthodistes (dont le Temple méthodiste de Sion à Strasbourg (photo)) échappèrent à cette règle car ils dépendaient d’une mission suisse. Les chrétiens issus des différentes Églises évangéliques se sont donc retrouvés dans les temples méthodistes pour vivre des cultes, des études bibliques et des réunions de prière tous ensemble. La catastrophe du nazisme et de la seconde guerre mondiale a révélé la nécessité d’une Église plus unie pour démontrer et apporter l’amour de Dieu au monde.

C’est pourquoi l’unité évangélique a connu un nouvel élan à partir des années 1950. Mais l’Alliance Évangélique Française avait pour membres uniquement des personnes qui s’engageaient en leur nom propre, sans représenter des Églises ou des œuvres. Et donc lorsqu’à partir des années 1960, les Églises et œuvres de différentes villes (et de leurs campagnes environnantes) ont commencé à organiser de nombreuses actions en commun et à prendre de plus en plus de décisions en commun, il a fallu créer pour cela de nouveaux comités inter-évangéliques (différents de celui de l’Alliance Évangélique) composés cette fois de représentants des Églises et des œuvres. Ces comités se sont finalement appelés des « Ententes évangéliques ».

 

Les Ententes évangéliques : l’unité locale

C’est l’Entente strasbourgeoise qui s’est développée le plus vite, sous le nom d’Entente des Églises Évangéliques Libres de la Communauté Urbaine de Strasbourg, d’abord de façon informelle, puis de façon plus officielle avec la mise par écrit d’une Charte commune (1991) et la constitution en Association déclarée avec dépôt de Statuts (1992), avec la possibilité pour les Églises et les œuvres de devenir officiellement membres. En 2015, elle a été rebaptisée Entente des Églises Protestantes Évangéliques de l’Eurométropole de Strasbourg. Mais depuis une trentaine d’années, des « Ententes évangéliques » ont aussi vu le jour dans d’autres villes du Bas-Rhin : Wissembourg, Haguenau, Sélestat,…, et leurs campagnes environnantes.

Armée du SalutTout en continuant dans la lignée de l’Alliance évangélique, à travers la Semaine Universelle de Prière inter-églises annuelle et en favorisant des contacts fraternels entre chrétiens, le développement des Ententes a également permis d’organiser en commun un nombre croissant d’événements. Certains reviennent en général chaque année, comme les Cultes inter-églises, les Marches pour Jésus dans les rues, les actions sociales et citoyennes menées en été dans les quartiers défavorisés, les manifestations organisées durant la période de Noël… D’autres événements sont plus ponctuels (mais néanmoins nombreux), comme des actions d’évangélisation, des concerts ou comédies musicales, des expositions, des conférences ou tables-rondes,…

 

Le CNEF 67 : l’unité départementale

En 2010, au niveau national, l’Alliance Évangélique Française qui, rappelons-le, regroupait des individus, a laissé place au Conseil National des Évangéliques de France (CNEF), un rassemblement d’Églises et œuvres. Lorsque le CNEF national a proposé la formation de « CNEF départementaux », les Ententes évangéliques du Bas-Rhin, habituées à la pratique de l’unité évangélique, étaient prêtes à relever le défi, et c’est ainsi que le CNEF 67 a été créé dès 2012.

L’unité évangélique est certes encore en chemin, car en 2021 le CNEF 67, avec la cinquantaine d’Églises et œuvres locales évangéliques qui lui sont affiliées, ne réunit que la moitié de la centaine d’Église locales que compte le département. Mais le CNEF 67 a néanmoins permis aux Ententes, Églises et œuvres qu’elle rassemble de vivre une nouvelle dimension de l’unité chrétienne : une bien meilleure connaissance les uns des autres, une communion fraternelle plus concrète et intense, et la collaboration pour des actions en commun, tout cela à présent au niveau du département. Agissant moins qu’avant en ordre dispersé, les protestants évangéliques donnent au public une image plus claire et compréhensible d’eux-mêmes et de leur message, et ils peuvent aussi parler d’une même voix dans leurs rapports avec les autorités publiques.

Pour en savoir plus, voir le dossier : L’identité du protestantisme évangélique et son développement historique en Alsace
par Christopher Sinclair, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021 

 

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