I. L’Anabaptisme et le Mennonitisme du 16è siècle à nos jours

 

On peut situer les origines du mouvement évangélique en Suisse autour des années 1520, avec l’apparition du mouvement anabaptiste. À Zurich dans ces années-là, un désaccord survient autour du réformateur protestant Ulrich Zwingli sur la manière de faire avancer les idées de la Réforme : certains, avec Zwingli, souhaitent maintenir le baptême des nourrissons hérité de l’Église catholique, et veulent faire appel à l’autorité civile pour la gouvernance de l’Église ; mais d’autres s’y opposent, en invoquant les principes évangéliques du Nouveau Testament : nécessité d’une conversion personnelle à Jésus-Christ pour devenir chrétien, baptême des croyants, séparation de l’Église et de l’État, liberté de conscience.

Conrad GrebelConrad Grebel, un des dirigeants du groupe opposé à Zwingli, pratique le 21 janvier 1525, avec quelques « frères », le baptême d’adultes dans une maison particulière. Cet acte explique qu’on ait appelé les membres de ce groupe (puis leurs disciples) des Anabaptistes, d’un mot grec qui veut dire « rebaptiseurs », puisque ces hommes avaient déjà été baptisés une première fois comme nourrissons dans l’Église catholique. Grebel et ses partisans (Georg Blaurock, Felix Manz, Balthasar Hubmaier….) sont dès lors considérés comme des insoumis et condamnés par les autorités civiles zurichoises : certains sont exécutés par noyade, d’autres reçoivent des peines de prison. Ceux qui parviennent à s’enfuir cherchent asile vers le nord, le long de la vallée du Rhin, là où l’on veut bien les tolérer.

xilés, les Anabaptistes continuent de prêcher leur message. C’est ainsi qu’à partir de 1525, des communautés anabaptistes naissent en Alsace, notamment à Strasbourg, cité tolérante et ville refuge pour de nombreux protestants dissidents. Ces communautés anabaptistes d’Alsace grandissent et se structurent, par l’action de pasteurs et de prédicateurs dynamiques, comme Pilgram Marpeck (réfugié venu d’Autriche) et Michael Sattler (originaire du Pays de Bade) [4]. A l’époque, on compte environ 2500 Anabaptistes à Strasbourg, soit 10% de la population totale de la ville, qui est d’environ 25 000 habitants.

Cependant, soucieux de normalisation ecclésiastique, le Conseil de la ville finit par expulser les Anabaptistes en plusieurs étapes entre 1530 et 1540 [5]. De petits groupes parviennent à se maintenir dans d’autres villes et cantons de la région. À partir de 1670, leur nombre se trouve renforcé par l’arrivée d’une vague d’Anabaptistes suisses venus du canton de Berne, et qui s’installent dans la vallée vosgienne de Sainte-Marie-aux-Mines.

Comme on le voit, l’apparition de l’Anabaptisme en Europe continentale dans les années 1520 a précédé la Réforme protestante anglo–saxonne, qui date des années 1530. L’Anabaptisme a même eu un impact sur le protestantisme britannique, puisque les premières Églises baptistes britanniques ont été créées par des protestants réformés anglais réfugiés en Hollande, et influencés par des Anabaptistes de ce pays. C’est au 17è siècle que les Anabaptistes vont être appelés « Mennonites » (ce qui est toujours leur appellation actuelle), du nom de Menno Simons (1496-1561), un prêtre hollandais devenu anabaptiste et dont le rayonnement s’est étendu à toute l’Europe rhénane.

En 1712, Louis XIV, maître de l’Alsace depuis quelques décennies et qui veut y imposer le catholicisme, exile la plupart des Mennonites d’Alsace-Lorraine vers le pays de Montbéliard et les hautes vallées des Vosges et du Jura. Certains préfèrent alors émigrer en Russie ou en Amérique, à la recherche de contrées plus tolérantes. Après la Révolution française de 1789 et au cours du 19è siècle, le refus des Mennonites de prêter serment aux autorités civiles et de porter les armes leur vaudra souvent de nouvelles tracasseries administratives, d’où de nouvelles vagues d’émigration.

Cet exil explique par exemple la présence des Amish en Amérique du Nord. Vers 1690, Jacob Amman, un des « anciens » de la communauté mennonite de Sainte-Marie-aux-Mines, trouve que les Mennonites s’éloignent des principes bibliques de leurs fondateurs : il exige le retour à une vie plus simple, dans un esprit de non-conformité au monde ambiant. Les disciples d’Amman, que l’on désigne désormais du nom d’« Amish », émigrent en Amérique entre 1750 et 1850 à la recherche de terres et de liberté.

Malgré les persécutions, quelques centaines de Mennonites ont fait le choix de rester en Alsace, avant tout dans des zones rurales jusqu’au début du 20è siècle (Geisberg, Bourg-Bruche, Birkenhof, Schweighof, Ensisheim, Pulversheim…). Mais après la première guerre mondiale, grâce aux progrès de la liberté de conscience, et aussi sous l’effet de l’exode rural, des Mennonites s’établissent à nouveau dans des villes, petites ou grandes : à Strasbourg, Mulhouse-Pfastatt, Colmar-Ingersheim, Neuf-Brisach, Altkirch et Saint-Louis. En 1980, les Mennonites francophones se sont regroupés en une union d’églises légalement enregistrée, l’Association des Églises Évangéliques Mennonites de France, dont le centre de gravité demeure l’est de la France [6].

Les Mennonites de l’est de la France accomplissent un important travail social, notamment à travers le Mont des Oiseaux, une résidence pour personnes handicapées située à Wissembourg ; et à travers la résidence pour personnes âgées dépendantes de La Rosemontoise, à Valdoie près de Belfort [7].

Christopher Sinclair
Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, juin 2021

Notes

[4] Sur Pilgram Marpeck, Michael Sattler et l’Anabaptisme alsacien au 16è siècle, voir : BLOUGH Neal, Christologie anabaptiste : Pilgram Marpeck et l’humanité du Christ, Genève, Labor et Fides, 1984 ; ainsi que : BAECHER Claude, Michael Sattler – La naissance d’Eglises de professants au XVIe siècle, Cléon d’Andran, Editions Excelsis, 2002.

[5] LIENHARD Marc, « Les autorités politiques de Strasbourg et les dissidents, 1526-1540 », Communio Viatorum, n°XXV, 1982, p. 207-217.

[6] Sur l’histoire des Mennonites d’Alsace, voir les ouvrages collectifs suivants : Les Anabaptistes Mennonites d’Alsace – Destin d’une minorité, Saisons d’Alsace n°76, Strasbourg, Librairie Istra, 1981 ; BLOUGH Neal, dir., Mennonites d’hier et aujourd’hui, Dossiers de « Christ Seul », n°3/2009, Montbéliard, Editions Mennonites, 2009.

[7] Voir : Entente des Œuvres Mennonites, Travail Social et Spiritualité, Dossiers de « Christ Seul », n°4/2008, Montbéliard, Editions Mennonites, 2008.