Panorama des religions dans le monde en 2050

Le 16 avril 2015

Selon le Pew Research Center, d’ici 2050 la population musulmane sera presque aussi nombreuse que la population chrétienne, passant respectivement de 1,6 milliard et 2,17 milliards en 2010 à 2,76 milliards et 2,92 milliards en 2050. Quels sont les facteurs explicatifs ?

Gérard-François Dumont : Plusieurs facteurs expliquent un taux de croissance mondial des musulmans supérieur à celui des chrétiens.

Premièrement, il faut considérer la fécondité selon les religions. Certes, la fécondité des pays à majorité musulmane est fort différente avec, par exemple, 1,8 enfant par femme en Iran et 6,1 au Mali[1]. Mais, en moyenne, les musulmans ont la fécondité la plus élevée de toutes la catégories religieuses avec 3,1 enfants par femme en moyenne mondiale alors que les chrétiens, en deuxième position, comptent 2,7 enfants par femme, niveau atteint surtout grâce à la fécondité élevée des pays à majorité chrétienne d’Afrique subsaharienne. Les hindouistes se classent troisièmes avec, en moyenne, 2,4 enfants par femme, un niveau quasi équivalent à la moyenne mondiale – 2,5 enfants par femme. La fécondité moyenne des juifs est légèrement inférieure : 2,3 enfants par femme. La fécondité la plus basse est celle des bouddhistes, seulement 1,6 enfant par femme, notamment parce que les bouddhistes se trouvent principalement dans des pays d’Asie orientale – 93 % de la population de la Thaïlande, 36 % de celle du Japon, 23 % de celle de la Corée du Sud et 18 % de la population de la Chine – ou d’Asie du Sud-Est – 21 % de la population de Taiwan – où la fécondité est souvent considérablement abaissée. À l’horizon 2050, l’avancée projetée dans la transition démographique des pays du Sud dont la fécondité est encore élevée doit se traduire par une baisse de celle-ci. Mais, ne serait-ce que par effet de vitesse acquise, la fécondité plus élevée des musulmans engendre un taux de croissance supérieur à celui des chrétiens, d’autant plus que s’ajoute une deuxième explication : la structure par âge des musulmans est plus favorable à la natalité.

Les populations musulmanes ont en effet aujourd’hui, en moyenne, une composition par âge plus jeune que les adeptes des autres religions ou que les personnes sans religion. Compte tenu de cette jeune composition par âge, la proportion des femmes en âge fécond est plus importante dans la population musulmane que dans la population chrétienne, et elle va le demeurer. En conséquence, la combinaison, chez les musulmans, d’une fécondité plus élevée et d’un pourcentage plus important de femmes en âge de procréer se traduit inévitablement par une croissance démographique plus forte que dans tous les autres groupes religieux.

Troisième élément : aujourd’hui, dans certains pays musulmans, l’espérance de vie est encore relativement faible, ce qui limite le nombre d’habitants. Comme cette espérance de vie est projetée en hausse, elle devrait favoriser un poids démographique accru des musulmans alors que, par exemple, les progrès possibles d’espérance de vie des populations bouddhistes sont moindres compte tenu des progrès déjà réalisés. Dans les pays à majorité musulmane en retard sur le plan de la mortalité infantile ou de la mortalité maternelle, comme l’Afghanistan ou le Soudan, l’amélioration possible devrait accroître les taux de survie des enfants ou des mères, facteurs favorables à une hausse du nombre de musulmans.

Les trois éléments ci-dessus se conforment à la méthode[2] que nous avions utilisée avec une hypothèse présupposant le caractère globalement héréditaire de l’appartenance religieuse et prenant en compte la diversité des situations comme des dynamiques démographique.

La véritable nouveauté du rapport du Pew Research Center[3] est de proposer une mesure des possibles conversions. Le rapport calcule donc des projections de conversions : changements de religion ; abandons d’une religion pour devenir sans religion ; ou personnes sans religion adhérant à une religion. Le modèle utilisé par le rapport conclut que les flux de conversions les plus importants, à l’horizon 2050, concerneraient la chrétienté et les personnes sans religion. Sous l’unique effet des conversions, la chrétienté connaîtrait une diminution de 66 millions de personnes, résultant d’un solde de 106 millions quittant la religion chrétienne et de 40 millions l’embrassant ; et 61,5 millions de personnes  iraient vers l’absence de religion. Parmi les autres religions perdantes ou gagnantes du fait des conversions, les chiffres sont beaucoup plus faibles ; le bouddhisme serait affecté par une perte nette de 2,85 millions ; en revanche, l’islam gagnerait 3,2 millions, solde entre des personnes d’origine non musulmane qui deviendraient musulmanes, soit 12,6 millions, et de musulmans qui quitteraient la religion musulmane, soit 9,4 millions. La perte du fait des conversions des juifs serait moindre, une diminution du 310 000, mais un tel chiffre représenterait une proportion fort importante, puisque les juifs sont estimés à 13,86 millions en 2010,

Cela signifie donc que 10 à 20 plus tard, l’islam devrait être la religion la plus représentée dans le monde ?

Si ce qu’on appelle en prospective les « tendances lourdes » se poursuivent, le nombre des musulmans dans le monde pourrait rejoindre celui des chrétiens vers 2070. Toutefois, de nombreuses ruptures peuvent se produire d’ici 2050, et plus encore d’ici 2070, aboutissant à des données fort différentes des projections réalisées : guerres meurtrières touchant davantage certaines religions que d’autres, conflits meurtriers au sein de la même religion[4], sous-alimentation ou mauvaise alimentation réduisant l’espérance de vie, morbidité réduisant la fertilité, détérioration dans la gouvernance de certains pays, maintien d’habitudes culturelles limitant les progrès dans l’espérance de vie des femmes[5], pollutions mortifères, généralisation de la demande d’euthanasie dans certains pays, etc. Par exemple, l’hypothèse que les taux de mortalité maternelle vont baisser davantage dans le monde musulman n’est pas certaine parce qu’il y a des pays où la situation sanitaire ne va pas nécessairement s’améliorer en raison de mauvaises gouvernances ou de guerres.

Mais des ruptures contraires sont aussi possibles : gouvernances favorables à la longévité, innovations technologiques ou encore progrès médicaux et pharmaceutiques.

Cela signifie-t-il que la religion musulmane sera très présente dans toutes les parties du monde, ou bien des zones pourraient-elles ne pas être concernées ?

Comme nous l’avions annoncé[6], le XXIe siècle se caractérise par un changement structurel inédit dans la géographie des religions.

Jusqu’au XXIe siècle, le christianisme avait une caractéristique unique parmi les religions du monde : être la seule religion universelle, présente sur l’ensemble des continents et la quasi-totalité des pays, même si c’est parfois de façon minoritaire ou très minoritaire. Par exemple, il ne faut pas oublier que la chrétienté est très présente dans les pays arabes du Golfe en raison du nombre élevé d’immigrants chrétiens – il est vrai à statut temporaire mais de facto permanent, du fait du phénomène de noria. Encore aujourd’hui, plus des trois quarts des pays du monde classent le christianisme comme la religion pratiquée par la majorité de leur population.

Depuis son installation au VIIe siècle et sous l’effet de son extension, la religion musulmane s’est constituée un vaste espace allant du Maroc à la région ouïgoure de la Chine en Asie orientale et à l’Indonésie puis, très minoritairement, aux Philippines, en Asie du Sud-Est, mais sans parvenir à dominer tous les pays de ce vaste triangle, comme l’Inde[7], la Thaïlande, le Sri Lanka ou le Viêt-Nam. En Afrique, l’islam est parvenu à s’étendre sur la moitié Nord et s’est trouvé en quelque sorte stoppé dans les zones forestières à climat équatorial ou tropical humide.

Cette religion était donc absente de trois continents : l’Europe (hormis quelques pays balkaniques ayant subi la colonisation ottomane, comme l’Albanie, le Kosovo ou la Bosnie), l’Amérique et l’Océanie. L’islam, au moins jusqu’aux trois quarts du XXe siècle, n’est donc pas une religion planétaire.

Puis un changement majeur s’effectue sous l’effet de phénomènes migratoires, plus précisément des nouvelles logiques migratoires. Les migrations internationales contemporaines, lorsqu’elles prennent la nature d’immigrations de peuplement, voient la religion musulmane s’installer dans des régions, comme l’Europe ou l’Amérique[8] où, auparavant, elle était quasi absente. Dans la moitié Sud de l’Afrique, l’islam connaît également une expansion, non pour des raisons migratoires, mais sous l’effet de financements venus de pays du Golfe qui offrent des formations et des revenus à des Africains en leur assurant la construction, et parfois l’entretien, de mosquées sur des territoires auparavant à dominante chrétienne ou animiste.

Autre exemple : l’islam était totalement absent du Brésil. Mais comme l’agriculture brésilienne est en train de fabriquer des produits alimentaires halal pour les vendre dans les pays musulmans, des Brésiliens ont fait venir des musulmans pour les charger de contrôler les normes halal. C’est ainsi qu’une ambition économique eut pour conséquence une présence culturelle musulmane auparavant inexistante. La géographie économique a ainsi des effets sur la géographie culturelle. Dernier exemple : au Japon, le nombre de musulmans, auparavant nul, augmente pour répondre au besoin de main-d’œuvre d’un pays dont la population active diminue[9].

En France, a-t-on une idée de la répartition des différents groupes religieux dans la population à l’horizon 2050 ?

En France, les estimations du Pew Research Center diffèrent peu de celles précédemment établies par Population & Avenir[10]. Elles indiquent, pour la métropole, 63 % de chrétiens (ce qui ne veut pas dire pratiquants), 7,5 % de musulmans et 28 % de sans religion. Compte tenu de la composition par âge vieillie des chrétiens et de la « conversion » à l’absence de religion, les chrétiens deviendraient minoritaires vers 2050, avec 43 % de la population ; les sans religion monteraient à 44 %, devançant donc légèrement les chrétiens. Les musulmans composeraient 11 % de la population, pourcentage prenant aussi en compte une désaffiliation de certains musulmans. De tels chiffres donnent des indications globales, donc peu fines, interdisant par exemple de savoir comment les Français musulmans se répartiraient entre des coutumes pacifiées ou séculières et des interprétations littérales du Coran, de type salafiste ou wahhabite.

Les athées, les agnostiques et toutes autres personnes ne se réclamant pas d’une religion, représenteront une part moins importante de la population mondiale. Le déclin du sentiment religieux en Occident ne serait donc qu’anecdotique ?

À l’horizon 2050, le nombre de personnes sans religion dans le monde, partant de 1,1 milliard en 2010, serait à peine en augmentation à 1,2 milliard, soit une diminution relative puisque ce groupe passerait de 16 % de la population mondiale en 2010 à 13 % en 2050. Cette baisse relative s’expliquerait notamment parce que la fécondité des personnes sans religion est l’une des plus faibles, avec seulement 1,7 enfant par femme. Toutefois, le pourcentage des personnes sans religion augmenterait en Europe et en Amérique du Nord.

De façon globale, la projection annonce une montée mondiale de l’appartenance religieuse. D’ailleurs, il se pourrait que la montée soit encore plus nette si le pourcentage des sans religion en Chine, estimé à 52 % en 2010 et projeté à 51 % en 2050, baissait de façon significative.

La religion relevant de la conviction personnelle , quelle est la limite de ce type d’étude démographique ?

Pour estimer les appartenances religieuses actuelles, indispensables à l’établissement de projections, le Pew research center se fonde sur des enquêtes réalisées dans différents pays du monde car il y a peu de pays, comme l’Inde, où des chiffres extrêmement précis sont disponibles, le recensement indien donnant, par village, le nombre d’hindouistes, de chrétiens, de musulmans, de sikhs…..

Dans la plupart des pays, les données sur la répartition religieuse dépendent de la qualité des échantillons et doivent être examinées avec un sens critique même si leur valeur, en tant qu’ordre de grandeur et non de résultats précis, est souvent acceptable. Quant aux projections, elles sont fondées par définition sur des hypothèses souffrant le risque d’être démenties. Mais elles fournissent des résultats utiles afin, dans le futur, de comprendre les raisons des écarts entre les projections et les réalités alors constatées.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l’université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).


[1] Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population & Avenir, n° 720, novembre-décembre 2014, www.population-demographie.org/revue03.htm.

[2] Dumont, Gérard-François, « Les religions dans le monde : géographie actuelle et perspectives pour 2050 », dans : L’avenir démographique des grandes religions, Paris, François-Xavier de Guibert, 2005.

[3] The Future of World Religions: Population Growth Projections, 2010-2050, 2 avril 2015.

[4] Par exemple, il faut rappeler que l’islam compte une douzaine de courants doctrinaux dont certains s’opposent parfois avec violence aux autres.

[5] Dumont, Gérard-François, « Les femmes et les « Droits de l’homme » en Arabie Saoudite », dans : Les droits de l’homme en Arabie Saoudite, Paris, Académie de Géopolitique de Paris, 2012.

[6] Dumont, Gérard-François, « Les religions dans le monde : géographie actuelle et perspectives pour 2050 », op. cit.

[7] Car elle se heurte en Inde à la masse indienne et en Chine à la masse chinoise. Cf. Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.

[8] Dumont, Gérard-François « Religions et immigration aux États-Unis », Population & Avenir, n° 706, janvier-février 2012.

[9] Dumont, Gérard-François« Japon : les enjeux géopolitiques d’un « soleil démographique couchant » », Géostratégiques, n° 26, 1er trimestre 2010.

[10] Dittgen, Alfred, « Religions et démographie en France », Population & Avenir, n° 684, septembre-octobre 2007.

Source : Atlantico

 

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