L’eugénisme s’affirme comme projet de société

Le 20 mars 2019

Interview. Comment évolue la gestion des questions éthiques dans ce pays ?

À chaque fois vers une plus grande libéralisation : personne ne propose jamais d’interdire ce qui était autorisé. Pour compenser, on parle d’encadrer les pratiques, on confie la gestion des limites à des autorités qui seraient par principe non critiquables. Le Comité consultatif national d’éthique ou l’Agence de la biomédecine, par exemple. Mais cette dernière est au service de la science elle aussi, et se laisse donc griser par les « progrès » de la médecine !

Autre exemple, l’Académie de médecine : comme la plupart des médecins qui en font partie ne sont pas compétents sur ces sujets précis (on ne va pas demander à un cardiologue de s’y connaître en médecine de la reproduction), on peut leur raconter ce que l’on veut au nom des progrès de la science et du bien de l’humanité. Qui voudrait s’y opposer ? Personne. Il n’y a donc aucun contre-pouvoir dans ce domaine et quelques rares experts ont les coudées franches.

La prochaine loi est communément résumée à l’autorisation de la « PMA pour toutes ». Or ce raccourci vous agace…

Parce qu’il y a des questions infiniment plus graves à mes yeux et dont personne ne parle. Pas même ceux qui sont censés voter la loi ! Or l’eugénisme s’affirme comme projet de société. C’est ça dont il faudrait parler aujourd’hui.

Vous employez là un mot fort et grave. Qu’entendez-vous exactement par eugénisme ?

La volonté de constituer une espèce humaine de meilleure qualité, plus performante, plus compétitive… C’est le transhumanisme, finalement ! Le but de la médecine serait d’avoir des individus en bonne santé mais elle augmente sans cesse le nombre de ses clients en identifiant des malades qui s’ignoraient et en élevant la barre du « normal ». Si l’on ne fixe pas de limites, cela peut conduire à l’eugénisme.

En Europe, on n’ose pas en parler parce que ça rappelle le nazisme. Alors nous évitons le débat. Sauf que, dans la pratique du tri des embryons, il est bien question de mettre en compétition les individus qui vont survivre selon des critères de plus en plus exigeants.

Voilà trente ans que j’alerte et que je préviens. Hélas, je suis bien obligé de vous dire que cela n’a absolument rien changé. J’ai parlé devant des députés, des sénateurs, le Conseil d’État… Les décideurs m’interrogent chaque fois que l’on veut changer une loi. Je leur sers toujours la même rengaine : le gros problème, c’est l’eugénisme. J’explique, ils acquiescent. Me disent que j’ai raison. Et tout se poursuit sans embûches.

Valeurs actuelles avait interrogé le président du CCNE, Jean-François Delfraissy. Il défendait l’idée que son travail consistait à mettre en adéquation les évolutions de la science avec ce que la société est capable d’accepter…

Il le dit souvent et il n’est pas le seul ! Les députés le disent aussi. Mais il faudrait, pour commencer, qu’on m’explique ce que l’extension de la PMA a à voir avec la science. Qu’y a-t-il de nouveau dans cette technique ? Rien. Un donneur de sperme va féconder une femme. La « technologie » qui permet de le faire tient dans un bout de tube ou une seringue. Qu’on arrête de nous enfumer avec les « progrès de la science ». On étend, c’est tout. Ce ne sont pas les progrès de la science qui guident l’éthique, mais les demandes sociales. Et encore, ce ne sont même pas des demandes de la société, mais de quelques-uns.

Iriez-vous jusqu’à dire que le dernier avis du CCNE est plus eugéniste encore que le précédent ?

Oui, et c’est pourquoi j’essaie d’attirer l’attention sur autre chose que la « PMA pour toutes » ! Le CCNE franchit cette fois-ci des pas énormes, sans que rien n’ait été discuté dans les états généraux de la bioéthique. Les députés vont se retrouver avec l’avis du CCNE qui est le même que celui du comité d’éthique de l’Inserm ou de l’Académie de médecine. Ils sont tous d’accord et ils poussent sans que personne ne réagisse.

Qu’est-ce qui vous fait parler de « pas énormes franchis » ?

L’avis préconise de libéraliser encore un peu plus la recherche sur les embryons, en supprimant la nécessité d’une finalité médicale. Maintenant, ce pourrait être pour des enjeux économiques, par exemple ; l’humain devient matière première. On pourrait établir des gestations chez l’animal avec des chimères humain-animal…

Mais il y a aussi l’élargissement du recours au diagnostic préimplantatoire, au diagnostic préconceptionnel ainsi qu’au diagnostic génétique à généraliser dans la population totale. Il est clairement question de tri d’embryons pour ne garder que les plus performants. Cela mériterait au minimum de longues discussions, or il n’y en a aucune, pas même dans les médias. Nous sommes en train de laisser passer des choses gravissimes.

Et tout repose sur des mensonges, en plus. À la page 64 de l’« Avis 129 » du CCNE, il est écrit : « La médecine génomique et les examens génétiques permettent de réduire l’incidence de certaines maladies génétiques graves et ouvrent de nouvelles pistes pour des prises en charge adaptées pour les patients. » C’est absolument faux. Cela ne permet pas de réduire l’incidence sauf si l’on interdisait la procréation des couples découverts « à risque », et cela n’ouvre pas de nouvelles pistes puisque, en général, il n’y a pas de traitement. Les embryons sont triés, c’est tout. Ils affirment des choses fausses. Avec l’assurance que leur donne une expertise supposée être la meilleure.

Vous expliquez que nous ne revenons jamais en arrière. Nous pensez-vous encore capables d’accepter la moindre limite, finalement ?

C’est un peu désespérant, à vrai dire. J’avais essayé de prévenir en 1986, avant même l’invention du diagnostic préimplantatoire (DPI, en 1990). Je pressentais que ça déraperait très rapidement et qu’il n’y avait pas de limites possibles. Si l’on arrive à obtenir – par de nouvelles technologies – de nombreux embryons dans les années à venir, des centaines éventuellement, on pourra alors détecter des centaines ou des milliers de supposées pathologies et c’est un véritable système de tri eugénique qui nous guette, d’autant que les servitudes de la fécondation in vitro seraient alors épargnées aux patientes.

J’étais donc contre, mais quand le DPI a été légalisé en 1994, j’ai cherché des limites possibles. Et j’en ai trouvé une qui vaut ce qu’elle vaut : limiter le diagnostic à une pathologie « particulièrement grave et incurable » par couple. Ça n’a jamais été repris, ni par mes collègues ni par les politiques, alors que c’était la seule façon d’éviter l’élargissement sans limites du DPI, même s’il demeure intrinsèquement eugénique.

Comment expliquer ces dérives incessantes ?

Il y a évidemment un marché financier et professionnel qui en profite. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi une aptitude à accepter les miracles de la science en raison d’une fascination que je trouve assez malsaine. La crainte d’être malade, limité ou de mourir n’est pas nouvelle. Mais la propagande laisse aujourd’hui entendre qu’on pourrait en finir avec ça ! Le charme mensonger opère dans une société de moins en moins capable d’imaginer sereinement son avenir et dans laquelle le politique et le religieux sont en panne. La science est pour certains une nouvelle raison de vivre.

Vous arrive-t-il de penser que c’est vous qui avez fait le premier pas de cette marche eugéniste, en réalisant en France la première fécondation in vitro (Fiv) ?

Non, car le « transhumanisme » consiste à dépasser la condition humaine… Si la Fiv ne guérit personne, elle aide malgré tout un couple à parvenir à ce qu’il devrait être en mesure de faire normalement. Il ne s’agit donc pas de transhumanisme.

Je sais aussi que, s’il n’y avait pas eu la Fiv, il n’y aurait pas eu la suite… Voilà pourquoi je me suis immédiatement engagé contre les velléités eugénistes. J’ai écrit un livre quatre ans après la naissance d’Amandine, pour tenter d’alerter. Je n’ai pas arrêté de tirer la sonnette d’alarme, avant même l’invention du diagnostic préimplantatoire. Je me doutais que ça viendrait, et le tri des embryons pour la recherche d’un bébé prétendu parfait m’a toujours terrifié. Or cette évolution s’affirme progressivement.

Parmi les cibles de votre colère, les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) occupent une place à part. Pourquoi ?

Cela fait trente ans que je me bats contre eux parce que je considère que c’est un lobby qui cache complètement ses pratiques, et influe sur la loi par les relais d’influence qu’ils ont partout. Ils sont pour moi les pionniers du nouvel eugénisme que je déplore. La pratique de la PMA est sans doute la spécialité médicale la mieux contrôlée de France, sauf pour ce qui relève des Cecos et du don de sperme.

Dans les faits, ils sont les seuls responsables de l’origine génétique de l’enfant puisque les dons sont encore anonymes, et qu’eux doivent bien choisir les donneurs puis apparier chacun avec une receveuse. Sur quels critères ? Personne ne le sait, sauf pour la ressemblance avec le père social. Et l’Agence de la biomédecine, censée veiller à la transparence de la pratique, ne s’est jamais penchée là-dessus. Or les Cecos sont forcément tentés de modifier leurs critères de sélection au gré des découvertes génétiques, pour obtenir le « meilleur » bébé possible. C’est glaçant.

L’élan transhumaniste que vous nous décrivez peut-il constituer la grande rupture du XXIe siècle ?

C’est une rupture définitive. Certains proposent, d’autres acceptent et les gens finissent par s’habituer, voire demander.

Regardez le nombre de gens prêts à porter des bracelets pour savoir le nombre de pas, de battements cardiaques, le poids… Les techniques sont encore rudimentaires, mais l’habitude est là et la prise en compte du corps est incroyablement présente. Ils veulent absolument survivre, c’est tout. Comment imaginer un retour en arrière ? Les gadgets vont peu à peu s’introduire dans nos vies puis dans nos corps, sans que personne ne résiste.

Vous parliez tout à l’heure de fascination pour la science. Est-il impossible d’imaginer une autre raison de vivre qui détourne l’être humain de cette fascination ?

Très honnêtement, je pense que c’est perdu tant que ce système attire et fascine. Parce que sa « religion » est cohérente : elle est celle de la croissance économique, de l’amélioration des capacités humaines, de la toute-puissance d’Internet, de la compétition généralisée…

Puisqu’on ne peut interdire, qu’il semble impossible de limiter en raison de comités cautions, de la pression internationale ou du tourisme médical, il faut donc espérer que les gens n’en veuillent plus. Il faut générer une autre attirance, comme ce que faisait la religion dans la société, avant.

Les gens qui occupaient Notre-Dame-des-Landes ont tenté de le faire, à mon avis. Que l’on aime ou pas, ils ont voulu faire comprendre à la société que l’on peut être heureux en vivant plus frugalement mais dans le partage. Ce genre d’alternative naît dans le monde entier, et je crois honnêtement que c’est la seule issue. Je reste persuadé que le modèle actuel ne peut pas satisfaire les aspirations de l’humain.

Interview réalisée par Charlotte d’Ornellas et publiée initialement dans le magasine Valeurs actuelles du 14 février 2019.

Source : Généthique

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